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combat nous a permis de repousser les Allemands à Altkirch, de nous emparer de la ville, de courir à Mulhouse et d’y entrer. Les Allemands ont couru aussi, mais en sens inverse : ils ont fui devant nos baïonnettes. Heureuse la troupe française qui, la première, a fait entendre notre clairon aux échos de l’Alsace et retentir sous ses pas le sol sacré d’une province qui nous est si chère ! Les dépêches racontent que les paysans d’Alsace ont aussitôt, sur ce point de la frontière, renversé les poteaux qui marquaient la séparation d’avec la vieille patrie. Quel Français n’aurait-il pas voulu être là ? Ceux surtout qui, comme nous, ont pris part à la guerre de 1870 et gardé au fond de l’âme la douleur muette, mais toujours aussi vive, de l’arrachement brutal, sentiront en eux, avec un tressaillement de joie, un renouveau d’espérance. On connaît l’admirable gravure que Raffet a intitulée le Réveil : un tambour, superbe et farouche, bat aux champs et des fantômes sortent lentement de terre avec des figures étonnées qui se raniment, encore à moitié morts et déjà à moitié vivans. Ces fantômes se réveillent aussi dans nos cœurs ; nous reconnaissons parmi eux des figures aimées ; mais il est encore trop tôt pour leur tendre les bras. Nos enthousiasmes doivent rester prudens. Les Allemands sont revenus si nombreux que nous avons dû évacuer Mulhouse ; mais nous sommes restés en Alsace, nous reviendrons à Mulhouse, et nous ne nous arrêterons pas là. Il faut s’attendre à des péripéties diverses dans cette guerre, ne pas s’enorgueillir quand elles seront favorables, surtout ne pas se décourager quand elles ne le seront pas. Ce n’en est pas moins pour nous une grande force morale que ces premiers succès, et il est, tout de même, permis d’y voir une promesse. Jusqu’ici, notre territoire a résisté à l’invasion. Nous sommes entrés en Belgique pour défendre la neutralité d’un pays héroïque et généreux. Nous sommes entrés en Alsace, c’est-à-dire chez nous, pour y exercer la revendication du droit foulé aux pieds. Dans les conditions où elle s’engage, la guerre ne peut pas mal finir, et cela seul importe, mais elle ne pouvait pas non plus débuter plus heureusement : et nous dirons avec M. le Président de la République, dans le message concis, robuste et fort qu’il a adressé aux Chambres : « Haut les cœurs et vive la France ! »

Francis Charmes.


Le Directeur-Gérant,
Francis Charmes.