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IMPRESSIONS d’un COMBATTANT.


Jusqu’en Alsace

Le dimanche 9 août au soir, nous nous embarquons, hommes, chevaux et matériel, à la gare de Besançon-Viotte. J’ai baptisé ma monture » Mars » qui est un nom à la fois guerrier et astronomique. Ce sera d’ailleurs un nom, si j’ose dire, dynastique, car je changerai quelquefois de monture dans l’avenir. Notre capitaine veille à tous les détails de l’embarquement. C’est un homme à la fois cultivé et énergique, l’allure étonnamment jeune ; quoique quadragénaire, il a l’air plus alerte que le plus ingambe de ses hommes. Il a les qualités de décision et d’activité qu’il faut pour diriger une unité isolée. Il nous inspire confiance.

Après une nuit qui ne rappelle que de loin celles qu’on passe dans les sleepings de la Compagnie des wagons-lits, nous débarquons dans un petit bourg à quelque distance au nord de Belfort. Il fait une chaleur implacable, le ciel est d’un bleu sans tache ; nous ne sommes pas encore très habitués au gros drap militaire et à toutes les sacoches, bidon, musette, courroies diverses que les cavaliers ont en bandoulière. Un bon bain froid dans la rivière de l’endroit nous a vite remis d’aplomb.

Il n’est pas utile de relater nos mouvemens pendant les jours qui suivent. Après l’étape sur la grand’route, c’est toujours l’arrivée au cantonnement où chaque escouade déploie des prodiges d’ingéniosité pour faire une bonne popote dans un pays sans ressources, et y réussit pourtant. Il faut dire que nous sommes abondamment et merveilleusement fournis sans cesse, par un service de ravitaillement automobile, de pain, de vin, de sucre et de café, de viande fraîche exquise. Quant à la pitance des chevaux, elle ne le cède pas à la nôtre. La fourniture des viandes nous est assurée d’une façon admirable chaque jour, de Belfort, par nos bons autobus parisiens dont les chauffeurs militarisés pilotent chacun sa voiture habituelle et la soigne avec amour. Madeleine-Bastille, Contrescarpe-Place Pereire, et vous aristocratique Trocadéro-Gare de l’Est, qui eût pu prévoir, il y a un mois, que, démunis de vos banquettes, garnis tout du long de crochets de fer où pendent des demi-bœufs appétissans, vos glaces, enlevées et remplacées par de fins treillages de fer qui laissent passer l’air, et non les insectes, qui eût supposé, ô bons autobus,