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IMPRESSIONS d’un COMBATTANT.

Giromagny où je connais un officier ; une grande activité y règne. Réservistes et territoriaux s’initient au maniement des pièces. De là-haut la vue est merveilleuse, d’un côté sur le Ballon d’Alsace trônant tout dénudé au milieu des Vosges, et de l’autre sur la trouée de Belfort et une ville dont les cheminées fument au loin. Partout de vastes fumées d’incendies. Ce sont les forts qui dégagent leurs abords des arbres et des broussailles.

À l’heure des repas, à la T. P. L. G. (Tout pour la… bouche), petit groupe gastronomique fondé par des sous-officiers et où on a bien voulu me faire l’honneur de m’admettre, on se délasse des sévérités du service en laissant toutes bondes ouvertes au torrent joyeux des gauloiseries. Certaines sont réellement amusantes, mais leur caractère ne me permet, hélas ! pas de les rapporter ici.

Voici deux sergens du génie chargés du ravitaillement de leur compagnie. L’un d’eux nous raconte que, lors de notre première entrée à Mulhouse, il a été reçu de façon admirable, et avec toute l’obséquieuse amabilité germanique, par une famille bourgeoise allemande composée du père, de la mère, d’une jeune fille, d’un jeune homme de dix-huit ans qui l’ont piloté toute la journée et comblé de mille gâteries. Le soir, quand il nous fallut momentanément et brusquement quitter la ville sous la poussée de forces supérieures, il vit le même jeune homme lui tirer de sa fenêtre un coup de fusil dans le dos. Sans commentaires !

Je remplace mes souliers décidément trop citadins et incapables de résister longtemps, par ceux d’un chasseur à cheval allemand de Mulhouse, qui était descendu pour faire le coup de feu dans une escarmouche et qui a suivi gentiment les nôtres jusqu’au cantonnement. Ces bottines toutes neuves étaient dans les sacoches de la selle ; elles sont fort bien faites, cousues à la main, le talon cerclé de fer. Je voudrais bien les rembourser à leur propriétaire, mais comment faire ? Le manteau du chasseur est d’un joli drap gris, mais qui comme qualité ne vaut pas les nôtres. Chacun essaie ce trophée.

Notre avant-dernier cantonnement avant d’entrer en pays ennemi est Anjoutey. Il y a déjà par là un certain nombre de tombes fraîches de soldats allemands. Nous voyons arriver quelques éclopés du ***me d’infanterie conduits dans un char échelle par un vieil Alsacien de quatre-vingts ans, à la figure