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dessin, fait de verve et où les regards trouvent leur contentement.

Julius de Baraglioul est un romancier moraliste, dont les œuvres sont démonstratives et mondaines. M. Gide ne l’estime pas, M. Gide qui a écrit (dans ses Nouveaux prétextes, réflexions sur quelques points de littérature et de morale) : « L’œuvre d’art ne doit rien prouver, ne peut rien prouver sans tricherie. » Anthime Armand-Dubois méprise les romans de son beau-frère, qui méprise également les tropismes du franc-maçon. Du moins, les Baraglioul déplorent-ils la mauvaise santé d’Armand-Dubois ; et, dans leurs prières, ils pensent à lui. A cette nouvelle, Armand-Dubois ne se connaît plus : il ne veut pas d’un miracle qui le guérirait. Pourquoi ? — « Parce qu’alors cela me forcerait de croire à Celui qui n’existe pas ! » Enchanté de sa bourde et furieux, il sort. Il a quitté le repas de famille. Tout clopinant, il va dehors et invective contre une madone en pierre, fixée à l’angle de la maison et qui, dans une niche, sous un toit de zinc, auprès d’une lanterne, montre son manteau bleu et tend ses mains rayonnantes. Il lance à la madone sa béquille et brise la main droite, qui tombe. Il la ramasse et la glisse dans la poche de son gilet. Honteux et plein de rage, l’iconoclaste rentre chez lui : et il y a du « père Ubu, » dans ce bonhomme. Il entend sa nièce, la petite Julie, prier : «... et pour les les péchés de l’oncle Anthime. » Pendant la nuit, l’oncle Anthime a un songe. Il voit la madone, qui pour le guérir n’a pas besoin d’une main en pierre et qui lève sur lui sa manche vide. Il saute de son lit et, sans béquille maintenant, guéri et converti, court à son laboratoire. Mme Armand-Dubois l’y surprendra, lui, l’athée d’hier, agenouillé, pleurant avec contrition devant le débris de la statue sainte. Et Anthime renonce à la science impie ; il n’écrira plus dans les journaux du parti radical : il est ruiné. Julius de Baraglioul tâchera de lui obtenir de fructueuses compensations cléricales. La sotie devient peu à peu une folie : le sarcasme y prend un accent de frénésie bouffonne ; c’est la bouffonnerie, à mon gré, qui le sauve d’une insolence désagréable. Mais de qui se moque-t-on ? « Il ne faut, dit l’auteur de Paludes, rire que de soi... » Et ce sont les mouvemens naturels de l’esprit et du cœur qui ont ici leur formidable caricature.

Soudain, nous rentrons à Paris. Un nouveau personnage nous est présenté, le jeune Lafcadio Wluiki : « on prononce Louki. » L’entrée de ce garçon nous avertit de notre joie : ce roman sait nous convaincre, non de ses doctrines, de ses attraits, si, à chacun de ses épisodes, il éveille notre curiosité, l’aguiche et, quitte peut-être à la décevoir, la tient en alarme perpétuelle. Lafcadio est charmant, si désinvolte ! Et,