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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 23.djvu/374

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personnes, lasses du théâtre contemporain, protestent et ne craignent pas d’afficher, au bout du compte, leur satirique préférence pour le « music-hall, » que les Français appelaient jadis café-concert. Le roman, tel que le fabrique Julius, encombré de considérations éloquentes et destiné à l’édification, méprise la vivacité des épisodes : c’est négliger de nous distraire. « Ah ! monsieur, » s’écrie un jour Protos, déguisé en professeur, « tout ce qu’on ferait dans cette vie, si seulement on pouvait être bien certain que cela ne tire pas à conséquence ! » Ah ! tout ce qu’un écrivain, pourvu de quelque fantaisie, ferait dans le roman, s’il consentait que cette sorte d’ouvrages, de très petite conséquence, a pour objet de nous distraire !... Et je crois que M. Gide, là-dessus, invoquerait l’autorité de Stendhal.

Lafcadio, meurtrier d’Amédée Fleurissoire, ne garde pas pour lui le secret de son crime. Il ne l’avoue pas, il le raconte à Julius, qui l’engage à se taire. Et, se taire, c’est trop facile, pour un garçon qui recherche les occasions d’une vie accidentée ; mais la fille de Julius a entendu les aveux, disons le récit, de Lafcadio. Elle aime Lafcadio et ne tolère pas qu’il se perde. Ce fut un soir, et même une nuit, qu’elle arriva dans la chambre de ce jeune homme. Maintenant, « quoi ! va-t-il renoncer à vivre ? et, pour l’estime de Geneviève, qu’il estime un peu moins depuis qu’elle l’aime un peu plus, songe-t-il encore à se livrer ?... » Le dénouement de ce long badinage n’est que plaisanterie et nous avertit de prendre avec gaieté une histoire qu’on ne nous a point offerte avec chagrin.

Cette gaieté pourtant n’est pas exactement gaie ; la gaieté de M. André Gide, abondante ici ou là dans son œuvre, et dans les soties en particulier, dans les Caves du Vatican plus que jamais, n’a point d’abandon ni de simplicité, ni d’aisance légère. Et je ne la dénigre pas ; j’en indique les qualités singulières. Elle a quelque chose de tendu, et non de volontaire tout à fait, au moins de résolu, de médité. Elle n’est pas un sentiment né tout seul dans une âme prête à le recevoir, mais une conquête, plutôt, et chèrement acquise. Une victoire ; et quel fut l’adversaire ? Si nous le savons, nous entendrons mieux et l’œuvre entière et ce dernier ouvrage.

Or, cette gaieté, telle que je l’indique, n’est pas du tout spontanée ; elle ne l’est pas, et dans ce livre qu’on définirait une apologie pour la spontanéité. Contrariété manifeste et, si je ne me trompe, la substance même de la pensée que traitent, suivant maintes péripéties, les ouvrages de M. André Gide. Dès le début, que voyons-nous ? une intelligence qui subit le fardeau des livres, le fardeau des idéologies et des