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poste d’observation. Dès qu’il en a eu connaissance, le général Joffre a protesté hautement contre cette assertion : et le général Joffre n’a jamais menti. A aucun moment, la cathédrale de Reims n’a, de notre chef, été mêlée à la guerre. Nous ne l’avons pas exposée par notre imprudence aux coups de l’ennemi. Elle est restée pour nous une ambulance, elle n’avait jamais été une forteresse. Mais pour l’Allemagne, et à très juste titre, elle était le symbole de la France elle-même. C’est là que nos vieux rois étaient sacrés ; c’est là que l’a été Charles VII, conduit par Jeanne d’Arc, qui portait son étendard comme un labarum ; les événemens principaux de notre histoire ont eu un retentissement particulièrement sonore sous les voûtes élancées de l’admirable édifice : voilà pourquoi il a été condamné. Ces grands souvenirs, l’Allemagne ne pouvait pas les supprimer avec ses canons, mais elle a voulu les insulter, et c’est contre leur représentation matérielle que sa fureur s’est acharnée.

Nous avons tort de qualifier cette représentation de matérielle : ceux qui ont vu la cathédrale de Reims trouveront l’expression inexacte, tant, dans ce noble monument, tout était expressif, vivant et parlant. Les pierres vivent et parlent en effet, quand plusieurs générations y ont mis leur âme, et cette voix qui sortait des vieilles pierres, les Allemands, qui l’entendaient comme nous, ont voulu l’étouffer. Ils se disent chrétiens, et la sainteté de l’édifice ne les a pas arrêtés. L’empereur Guillaume invoque familièrement « son vieux Dieu » qu’il a l’air d’avoir en poche et qu’il en sort à tout propos pour le faire figurer dans les homélies qu’il adresse à son peuple, et il ne paraît pas se douter que c’est le même Dieu qu’on adore dans toutes les églises de la chrétienté. Quelle que soit sa religion, sa haine est la plus forte, on vient bien de le voir. Mais ces souvenirs qui sont si grands pour nous, ces sentimens divers qui agitent si fortement en sens opposés l’âme française et l’âme allemande pourraient être moins sensibles au reste du monde, si la cathédrale de Reims n’avait pas été, par surcroît, un des chefs-d’œuvre de l’art, un des produits les plus achevés de la civilisation médiévale. A ce titre, elle n’était pas moins précieuse pour les artistes du monde entier que pour les fidèles d’une religion ou d’une patrie spéciale. Il y avait en elle quelque chose d’auguste qui l’élevait au-dessus des passions de la terre. On devait croire que les siècles qu’elle avait traversés et qui y avaient laissé leur empreinte seraient pour elle une sauvegarde. C’était compter sans la culture germanique ! En quelques heures la cathédrale de Reims n’a plus été qu’une ruine, et cette ruine, soit