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prennent une allure favorable à nos alliés, un événement qui vient de se produire dans l’ordre politique peut contribuer aussi à faire pencher davantage la balance de leur côté. Le roi Charles de Roumanie est mort. Les Roumains doivent à sa mémoire respect et reconnaissance, car son long règne leur a été propice. Ce Hohenzollern, greffé sur un tronc latin, a été un bon roi. Il a fait preuve d’un esprit sensé, appliqué, éminemment pratique. Il a respecté les idées, les mœurs, les institutions du pays qu’il avait été appelé à gouverner. Il a été pour quelque chose dans ses développemens matériels et n’a pas contrarié son développement moral. Quant à la politique extérieure, ses sujets se reposaient sur lui, avec confiance, du soin de la conduire. Il en a été ainsi jusqu’à ces derniers temps. Tout d’un coup, au milieu de la crise actuelle, un désaccord s’est produit. Quelque intelligent qu’il soit, il est rare qu’un souverain étranger ne reste pas un étranger et les Roumains se sont aperçus que le roi Charles était resté un Allemand. Leur intérêt était du côté de la Triple-Entente : les sentimens du Roi étaient ailleurs. Que serait-il arrivé, s’il avait continué de vivre ? Nous l’ignorons, et il est inutile de le rechercher. Quoi qu’il en soit, sa mort rendra à la politique roumaine une liberté à laquelle son autorité, qui était grande, apportait quelque entrave. Comment le gouvernement roumain en usera-t-il ? On le saura bientôt ; mais il est permis de dire que l’Autriche a perdu un ami au moment où elle avait le plus grand besoin de le conserver.

De cet ensemble d’événemens militaires et politiques, résulte une situation qui est de nature à inspirer des réflexions sérieuses aussi bien aux Allemands qu’aux Autrichiens. En ont-ils l’impression ? Leurs journaux n’entrent pas en France, et nous ne les connaissons que très incomplètement par de rares citations qu’en font quelquefois d’autres journaux étrangers. Il semble bien, à les lire, que la confiance du début soit atténuée, bien que l’arrogance reste la même. Les journaux allemands les plus graves commencent à avouer que la tâche est laborieuse, difficile, et qu’il faut s’attendre à ce qu’elle soit longue. Mais, si elle est longue, qu’arrivera-t-il ? L’état-major allemand avait compté surtout, pour assurer le succès de son plan, sur la foudroyante rapidité de son exécution. On a beaucoup cité, dans la presse, la conversation si intéressante que sir E. Goschen, ambassadeur d’Angleterre à Berlin, a eue avec le ministre des Affaires étrangères, M. de Jagow, à la veille de la déclaration de guerre : nous n’en reproduirons qu’un court fragment. Cherchant à justifier la violation de la neutralité belge : « C’est pour nous, a dit M. de Jagow,