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L’INCENDIE DE SENLIS
RÉCIT D’UN TÉMOIN


Samedi 5 septembre

(trois jours après l’incendie).

Je ne sais pas si je vis dans un cauchemar. C’est la première fois, depuis que je l’ai interrompu, que je puis continuer mon journal dans une demi-sécurité à…

On conserve ces visions d’horreur, comme un somnambule depuis que tout s’est accompli en un laps de temps dont on perd totalement la notion.

Le jour où j’ai interrompu mon journal, [le mercredi 2 septembre, ] après qu’on aurait voulu nous contraindre à quitter notre pauvre ville en danger, voici qu’au cours du déjeuner, la pétarade violente et bizarre se rapproche singulièrement… ! Je sors sur le Cours. — Les Allemands sont à 3 ou 4 kilomètres, me dit un homme, les obus vont pleuvoir, il est temps de rentrer. — Les vitres tremblent. Henri (mon frère) estime à bien juste titre qu’il est imprudent de demeurer isolés dans notre coin. Il faut mettre notre mère au couvent, et nous à la grâce de Dieu. Ça se décide en cinq minutes, car ma mère et Henri avaient leurs sacs prêts, mais nous hésitons un moment sur le seuil, tant « ça chauffe. » Traversée des promenades et de la ville au son du canon. Les maisons se ferment.

Les sœurs hospitalisent notre pauvre mère. Tout le monde est en prières dans les sous-sols. — On s’embrasse ; elle est bien émue. Quand se reverra-t-on ? — Nous allons par la ville un peu au hasard. Rue du Puit-Typhaine, le secrétaire de mairie,