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les pires maux froidement, quand leur menace est quotidienne. Telle était, à cette heure, la philosophie de Paris assiégé. Telle était celle de la Berrichonne, attendant à Nohant les Prussiens de pied ferme[1]. Aussi résista-t-elle aux objurgations de sa fille.

À plus forte raison résista-t-elle à celles de son gendre Clésinger, qui tout à coup fit une rentrée inopinée, et d’ailleurs honorable, dans la vie de la mère et de la fille. Depuis quinze ans, il avait disparu. Nous avons raconté ailleurs[2] ce que fut cet étrange mariage de Solange avec l’ex-cuirassier sculpteur dont elle s’était entêtée. Non seulement ce mariage mit en lutte la mère et la fille, mais il eut pour conséquence presque directe la rupture de George Sand avec Chopin, qui soutenait Solange et Clésinger dans cette affaire. La vie de bohème que mena aussitôt le jeune ménage, puis le drame qui éclata autour de l’enfant, et la fuite de Clésinger criblé de dettes, en 1855, toute-cette triste histoire s’enfonçait maintenant, grâce à la guerre, dans un passé d’oubli. Clésinger pouvait donc espérer que-George Sand, menacée dans sa vie, ferait accueil à cette lettre, dont il est juste de lui tenir compte :


Bordeaux, 14 décembre 1870.

« Madame ma mère, je viens de recevoir une lettre de Solange-qui me met dans des transes que vous ne pourrez vous y rendre (sic), puisque Solange m’annonce que vous voulez rester à Nohant, malgré l’arrivée imminente de l’ennemi.

« Je vous en supplie, cédez à ma prière et à celle d’un ami dévoué que je vous envoie. Faites partir toutes vos choses précieuses, papiers, meubles, etc., etc., dans une charrette pour une destination connue de vous seule, et partez, je vous en conjure. Je sais de visu ce dont est capable l’ennemi ; j’en arrive. J’ai accepté l’hospitalité de Solange, et je pars pour Cannes. Que le. sort heureux vous y conduise, vous et les vôtres, et peut-être un peu de paix viendra parmi nous.

« Je vous dis au revoir, et je vous le dis avec tout mon cœur

  1. Elle se borna, en prévision du pillage, à brûler une masse de lettres, des papiers et des manuscrits personnels. Une partie des archives de Nouant, et non la moins intéressante, a péri ainsi.
  2. George Sand et sa fille, deuxième partie.