Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 24.djvu/33

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lendemain vers 7 heures l’affichage de la Mobilmachung (mobilisation) ; le jour même, plusieurs notables dont notre forgeron, sont arrêtés par les chasseurs à cheval et passent la nuit au corps de garde surveillés par des factionnaires le doigt sur la gâchette de la carabine. On les relâche, puis on les arrête à nouveau. D’autres sont arrêtés et conduits ligottés à Mulhouse, puis à Neuf-Brisach comme otages : on n’en a plus de nouvelles.

Le soir du 5 août, vers 9 heures, ordre est donné à toute la population, — à l’exception du seul immigré de l’endroit et de sa femme, — de quitter dans le délai d’une demi-heure le village, sous peine d’être fusillé. Les habitans sont amenés comme un troupeau, en pleine forêt, à plusieurs kilomètres de là, où ils passent la nuit au milieu d’un orage épouvantable. Des scènes indescriptibles ont lieu ; une femme accouchée de la veille doit s’enfuir avec les autres, les pieds nus, et son enfant qu’elle a sur les bras meurt en route ; une autre accouche dans la forêt ; le lendemain, les habitans reçoivent l’autorisation de réintégrer leurs demeures. Ils en trouvent un grand nombre pillées de fond en comble, portes et fenêtres enfoncées. De nombreuses troupes allemandes campent maintenant dans le village. Le 7 août, elles l’évacuent et il est occupé par les Français. Le 10 août, après un vif combat, il est évacué de nouveau par nous et réoccupé par les Prussiens. La plupart des habitans passent la nuit dans leurs caves. Le 14 août, nos troupes occupent une fois de plus le bourg où elles étaient encore le 25 août. Ce récit m’a été confirmé par plusieurs témoins. Qu’est-il advenu depuis de ces malheureux villageois exposés ainsi à ce tragique ressac ?

Nous le saurons peut-être lorsque seront terminées les opérations que nous menons maintenant contre le fameux général von Klück à qui nous allons tâcher de faire mériter le nom de général von « UnKlück, » si j’ose risquer ce calembour à l’alsacienne.


CHARLES NORDMANN,

brigadier au *** régiment d’artillerie de campagne.