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soulevé son enthousiasme : c’est d’un élan unanime que les habitans de l’Empire marchent contre la tyrannie germanique. Quelles que puissent être les difficultés de la lutte, le pays continuera à montrer la même décision que celle dont il a fait preuve dès le premier jour ; rien de semblable aux mouvemens révolutionnaires qui ont accompagné et suivi la lutte contre le Japon n’est à redouter. On est en droit d’en conclure que l’effort, bien qu’incomparablement plus considérable qu’en 1904, ne dépassera pas ce que la Russie est capable de supporter.

Nous examinerons successivement la situation du budget, du Trésor, de la Banque, de l’agriculture, de l’industrie, des chemins de fer et du commerce. De ce tableau se dégageront les perspectives économiques de la guerre et la possibilité de mesurer la force de résistance de l’Empire à l’épreuve qui lui est imposée. Un premier gage de succès est l’énergie morale. Cette Russie, que les Allemands ne se font pas faute de qualifier aujourd’hui de barbare, donne le spectacle d’une résolution et d’un calme qui ne le cèdent en rien à ceux de ses alliés et qui sont le meilleur gage de la victoire définitive. Nos ennemis oublient combien, à d’autres époques, la Prusse et l’Autriche furent heureuses d’avoir l’appui des armes moscovites. Ainsi que le remarque le professeur Paul Vinogradoff dans une lettre adressée par lui au Times, jamais un Russe n’aurait écrit un livre comme celui du général allemand Bernhardi, érigeant en dogme militaire le vandalisme contre les choses et contre les personnes. La crise par laquelle la Russie a passé, au lendemain de l’octroi par le tsar d’une constitution, est terminée, et l’unité fondamentale de l’empire apparaît. Les partis ont oublié leurs divisions. Un Moscovite libéral écrit : « Voici une grande, inoubliable époque ; nous sommes heureux de sentir que tons nous ne faisons qu’un. » Des révolutionnaires exilés adressent à leurs amis de pressans appels pour les engager à combattre dans les rangs de l’armée nationale. Plusieurs d’entre eux ont donné l’exemple, et sont sous les drapeaux.

Une nation qui est représentée en littérature par-Pouchkine, Tourguenief, Tolstoï, Dostoïevsky, en art par Kramskay, Vereschaguine, Repin, Glinka, Moussorgsky, Tchaikofsky, dans la science par Mendeleieff, Metchnikoff, Pavloff, en histoire par Kluchevsky et Solovieff, n’a aucune comparaison à redouter. Les Autrichiens feront bien de méditer les souvenirs que leur