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mais elle y a mis du temps. Elle a commencé par dénoncer les capitulations, c’est-à-dire déchiré un traité, ou plutôt un ensemble de traités qu’elle avait signés et qui instituait le statut personnel des étrangers dans l’Empire. Elle a vraiment considéré ces conventions ou traités comme de simples chiffons de papier, tant sont contagieux les exemples venus de haut. En d’autres temps, l’Europe aurait très mal pris la chose : elle s’est contentée de faire des réserves, auxquelles les Puissances de la Triple-Alliance se sont associées, quelques-unes pour la forme. Personne ne doute qu’ici encore l’Allemagne n’ait été le conseiller toujours écouté : la Porte n’aurait jamais osé prendre une pareille attitude sans son consentement, ou même son encouragement. Toutefois, si elle a espéré que de cet incident sortirait la guerre, elle s’est trompée : nous avions d’autres affaires sur les bras, nous avons renvoyé celle-là à plus tard. Alors, la Porte, sous un vain prétexte, a fermé brusquement les Dardanelles, ce qui était une nouvelle provocation ; mais la mesure blessait un trop grand nombre d’intérêts pour pouvoir être maintenue, et nous avons laissé passer cette incorrection comme les précédentes. La Porte, alors, s’est décidée à tirer des coups de canon, et la guerre est devenue inévitable. Nous l’avons fait précéder d’un ultimatum : nous avons demandé, — Russie, France et Angleterre, — que le gouvernement ottoman licenciât sur l’heure les officiers, soldats et marins allemands qu’il a pris à son service, ou plutôt qui l’ont mis lui-même au leur. Le pouvait-il ? Avait-il gardé assez de liberté et de force pour le faire ? Non, sans doute ; aussi le seul objet de l’ultimatum des alliés était-il de mettre en plein relief les causes de la guerre : elles sont dans ce fait que la Porte est tombée dans la domesticité de l’Allemagne, que c’est celle-ci qui gouverne à Constantinople et que cet état de choses s’est manifesté par des actes de brigandage qui ne pouvaient plus être tolérés. Quelles seront les conséquences ? Nous ne croyons pas qu’elles puissent être bien graves pour nous et pour nos alliés. La Russie sera obligée de maintenir quelques forces dans le Caucase, et sur la frontière arménienne, où elle a immédiatement pris contre les Turcs une offensive heureuse. L’Angleterre aura à veiller sur l’Égypte dont la défense, si elle est attaquée, est facile. L’Allemagne n’a pas dû avoir beaucoup de confiance dans les coups directs que la Turquie pouvait porter aux alliés ici ou là ; mais elle a espéré peut-être qu’elle amènerait le Sultan à proclamer la guerre sainte et à soulever le monde musulman contre les Anglais aux Indes et en Égypte, contre nous en Tunisie, en Algérie et au Maroc. Mais le Sultan,