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il fallait aiguiller ses forces vers ces grandes affaires coloniales qui comportent un certain idéalisme, parce qu’elles comportent un risque. De là cette fondation de l’État du Congo, dont la réussite a quelque chose de paradoxal ; de là ces entreprises belges plus ou moins patronnées par Léopold II, au Maroc, il y a quelque trente ans, en Chine, il y a quelque quinze ans ; de là tout ce mouvement d’expansion économique dont le feu Roi était l’âme, et par lequel il tenta d’élever la Belgique au-dessus de ses occupations et de ses préoccupations habituelles. Elle fit quelque résistance ; il parut n’en avoir cure. Sa méthode était de toujours entreprendre, sans trop se préoccuper des difficultés de l’entreprise. Echouait-elle ? Il en commençait une autre. Si elle réussissait, il mettait ses sujets devant le fait accompli. C’est ainsi qu’il les dota d’une colonie presque malgré eux. Ce procédé, qui n’est nulle part sans inconvénient, devait déplaire particulièrement aux Belges, fort jaloux du droit de faire leurs affaires eux-mêmes. De là une impopularité dont Léopold II souffrit à la fin de sa vie plus qu’il ne voulut le laisser paraître.

À la vérité, l’opinion commençait à lui revenir. Le peuple belge, peu à peu, se rendait compte, non seulement de la valeur positive que représente le Congo, mais aussi de la valeur morale que comporte l’œuvre léopoldienne. En l’obligeant à porter les regards sur les grand’routes du monde, le Roi colonisateur l’avait rehaussé à ses propres yeux et lui avait fait entrevoir de magnifiques destinées. La guerre a interrompu une souscription nationale qui eût permis d’élever à Léopold II un monument digne de lui. Mais ce revirement était très récent, et il n’est que trop vrai qu’au moment de la mort du fondateur du Congo, il y eut presque du soulagement dans l’opinion moyenne en Belgique. La popularité qui accueillit Albert Ier, lors de son avènement, vint en partie de ce qu’il ne ressemblait pas à son oncle. On avait si souvent répété aux Belges que la personnalité de leur Roi dépassait la Belgique qu’ils étaient ravis d’avoir enfin un souverain à leur taille…


C’est, en effet, avec la seule réputation d’un prince profondément honnête, consciencieux, laborieux, un peu timide, que celui qui devait être le héros de la Belgique nouvelle monta sur