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Le long des rues, les crieurs de journaux, qui portent à leur ceinture un trousseau de sonnettes, vendaient en courant des gokwai, ces supplémens sur papier de chandelle où les dernières nouvelles sont imprimées à la hâte. Ils se succédaient à si peu d’intervalle que le gouvernement en modéra bientôt la vente pour calmer l’excitation du public.

J’arrivai à notre Ambassade. Je l’avais revue, quelques mois plus tôt, avec la tristesse qui m’attendait dans tous les endroits où l’on pouvait constater la diminution de la France. Elle avait tant vieilli, cette vieille Légation, qui n’avait pour elle que son beau jardin japonais et son emplacement devant une des douves du Palais Impérial ! Ses murs de bois dégradés criaient misère. Depuis plus de deux ans, le gouvernement japonais nous avait aimablement cédé un grand terrain dans une des parties les plus animées de la ville. Mais notre Sénat avait refusé les crédits, peut-être excessifs, qu’on lui avait demandés ; et les Japonais ne s’étonnaient même plus de cette piteuse installation qui correspondait dans leur esprit à l’état actuel de l’influence française. Cependant, ce mardi 11 août, elle me parut la plus belle des Ambassades. J’entendrai toujours un des premiers mots qui m’y accueillirent : « Nous n’avons plus des âmes de vaincus ! » Ceux qui ont vécu à l’étranger comprendront mieux encore que les autres ce qu’un pareil mot révèle d’humiliations accumulées, de mouvemens de colère impuissans, de blessures silencieusement et impatiemment subies.

L’ambassade avait perdu une bonne moitié de son personnel. Dès le 5 août, son attaché militaire, le lieutenant-colonel Lerond, ses secrétaires M. Maugras et M. Bonmarchand, le capitaine Vorus, s’étaient embarqués à Yokohama pour l’Amérique. Les Japonais leur avaient fait une ovation. Le paquebot avait arboré le pavillon français ; et les attachés militaires allemand et autrichien, qui prenaient la même route, s’étaient cachés dans leur cabine.

L’ambassadeur, M. Regnault, n’était que depuis quelques mois au Japon. Mais les Français n’oublieront jamais ce qu’il avait déjà entrepris contre la prépondérance germanique ; et l’histoire dira un jour de quelle heureuse initiative il pesa sur la décision du gouvernement japonais. Revenu de sa villégiature, il avait groupé autour de lui les derniers membres de son Ambassade, l’attaché naval, M. Brylenski, le secrétaire inter-