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Un fait surtout les irrita. La jeune Alsace commençait à étendre sa propagande sur un groupe d’Allemands immigrés et à les convertir à ses idées. Un professeur de l’Université de Strasbourg, Hessois d’origine, M. Werner Wittich, avait publié une très intéressante brochure, où il démontrait, par des raisons esthétiques, la nécessité pour l’Alsace de conserver sa culture française[1]. Ce fut un scandale dans l’Université et dans les cercles officiels. Quoi ! des Alsaciens rebelles incitaient des Allemands à aimer la France ? Quel attentat a la majesté du peuple allemand ! Dès lors, on organisa contre les autonomistes une campagne de calomnies et de persécutions.

La Gazette de Westphalie, le premier organe du pangermanisme, qui exerce une sorte de terrorisme sur les autres journaux allemands, dénonça la jeune Alsace comme une pépinière de conspirateurs et appela contre elle les rigueurs du gouvernement. Elle exigea la suppression des libertés relatives qu’on lui avait tardivement accordées. On avait été trop bon d’ériger l’Alsace en terre d’Empire et de la doter d’un gouvernement particulier, il fallait en faire purement et simplement une province prussienne gouvernée par un général prussien et soumise à l’état de siège. Le Kaiser corrobora ces menaces en déclarant que l’Alsace, « qui avait connu son gant de velours, allait sentir son gant de fer. » Les industriels qui avaient gardé dans leurs fabriques quelques ouvriers français durent les chasser ou donner leur démission de directeur. Les sociétés d’étudians où l’on cultivait la littérature française furent dissoutes, le Souvenir français supprimé. La jeune Alsace n’avait pas voulu comprendre, la malheureuse ! que payer l’impôt de guerre extraordinaire pour les nouveaux armemens et l’impôt pour la flotte allemande était le plus grand des honneurs et un brevet de noblesse mondiale. Elle fut décrétée « une race inférieure. »

Pendant les affaires du Maroc, l’Allemagne, qui exerçait son hégémonie en Europe par un système d’intimidation méthodiquement poursuivi, avait soumis la France à une série de vexations où l’on sentait l’esprit chicaneur des pangermanistes et où l’orgueil impérial trouvait son compte. La France, qui avait cédé à presque toutes les injonctions du gouvernement allemand depuis une série d’années, avait fini par adopter à son

  1. Kultur und Nationalbewusstsein im Elsass, Strasbourg, 1909.