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le bruit s’en répandit, aux rumeurs les plus alarmantes, qui, du reste, ne me semblent pas avoir dépassé les limites de la Tunisie. Il y a, dans ce pays comme dans la métropole, des personnes trop disposées à voir tout en noir, à accueillir les bruits alarmans de préférence aux nouvelles rassurantes. Chez certaines de ces personnes, cette disposition au pessimisme est excusable. Elle résulte, quand elles ont un ou plusieurs membres de leurs familles sous les drapeaux, d’inquiétudes légitimes, et parfois aussi de leur douleur lorsque la mort a frappé l’un d’entre eux, douleur cruelle que peut ennoblir la gloire de son trépas, mais qu’elle ne saurait apaiser. Il faut avoir une âme cornélienne, — et rares sont ces âmes-là en dehors du champ de bataille, — pour garder une indomptable foi dans la victoire quand un être aimé court le risque de la payer de sa vie. Mais tous les propagateurs de fausses nouvelles n’ont pas cette excuse. C’est parmi ceux qui ne l’ont pas que les rumeurs auxquelles je fais allusion trouvèrent le plus rapidement créance et peut-être même prirent naissance.

Sans insister autrement sur leurs origines, je constate que l’espèce d’ébullition purement locale et toute de surface par laquelle s’était traduit le mécontentement des indigènes dont la famille n’avait pas encore reçu l’allocation promise fut interprétée comme le prélude d’une révolte générale des indigènes. ! Que dis-je, le prélude ? La révolte elle-même fut annoncée comme un fait acquis ; on en parlait entre soi, mystérieusement, comme aussi du massacre des colons prédit pour le jour du grand Baïram. On avait vu des aéroplanes suspects lancer sur le pays des banderoles de papier blanc ; c’était là le signal du soulèvement ; ce signal était donné par la Turquie. Est-il nécessaire d’ajouter qu’en tous ces récits, rien n’était vrai, que tout y était de pure invention, et qu’il n’en reste rien aujourd’hui, si ce n’est la preuve certaine de la sincérité du loyalisme des indigènes dont, au surplus, ceux qui sont sur le front rendent chaque jour héroïquement témoignage.

Néanmoins, les incidens isolés qui ont engendré tant d’invraisemblables prophéties mettent une fois de plus au premier rang des préoccupations du Protectorat la nécessité d’éviter tout ce qui pourrait ébranler la confiance des Tunisiens dans l’invincibilité finale de la France, dans son équité et dans sa constante sollicitude pour eux. Depuis longtemps, ils y sont accoutumés ;