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entière s’en soit émue. Depuis Charlemagne, aucun prince n’a pu se désintéresser d’un conclave : voilà ce qui explique et justifie les luttes qui s’y sont produites à maintes reprises, luttes aux détails parfois misérables et indignes du sénat de l’Église, mais cependant bien fertiles en enseignemens, quand on en recherche la cause et qu’on en discerne l’objet. N’est-il pas remarquable enfin que cette rivalité des puissances séculières au sein du conclave, — indice de l’importance qu’elles attribuaient à son issue, — ne se montra jamais plus âpre et plus passionnée qu’à la mort de Clément XII, en 1740, au milieu du XVIIIe siècle, en un temps où la religion était raillée et dédaignée, où princes et peuples s’en allaient à la suite des idées nouvelles, oublieux de la foi de leurs ancêtres ? De l’élection de Benoit XIV, considérée à ce double point de vue, ressort une haute leçon d’histoire.


Le 6 février 1740[1], à l’aube, la cloche du Capitole se mit à tinter le glas : le pape Clément XII venait d’expirer. Bientôt le canon du château Saint-Ange se fit entendre, les tambours roulèrent de tous côtés, les troupes sortirent de leurs quartiers et les rues s’emplirent d’une foule bruyante que fendaient à grand’peine carrosses, chaises et berlines, emmenant au Quirinal cardinaux et prélats, réveillés en sursaut et à peine habillés. — Attendue depuis six mois, la mort du Pape paraissait surprendre tout le monde ! Aveugle et nonagénaire, torturé par la goutte, miné par la fièvre et la dysenterie, Clément XII avait lutté contre la maladie, avec cette force d’âme et cet amour de la vie que l’on ne voit qu’aux vieillards. A plusieurs reprises, les médecins trouvant le pontife évanoui et agité de convulsions, avaient jugé sa dernière heure venue, et trois fois les secours suprêmes de la religion lui avaient été apportés. Durant le mois de janvier, le bruit de la mort du Pape avait couru la ville à toute heure, et même, une fois, un messager avait été en porter la nouvelle à Paris. Tant de fausses alertes avaient lassé les inquiétudes et endormi les vigilances : le peuple croyait qu’une poudre merveilleuse, apportée de Florence, assurait encore à son souverain plusieurs années de vie.

Du reste, Clément XII n’était pas aimé de ses sujets. A la

  1. Les principales sources de cet article sont les documens conservés aux Affaires étrangères dans la Correspondance de Rome, vol. 777-79 et 783 et une relation italienne du Conclave de 1740 publiée à Fribourg en 1888 par F. X. Krauss (d’après le manuscrit appartenant au marquis Malveazi de Bologne) à la suite des Briefe Benedicts XIV an den Çanonicus P. Francesco Peggi in Bologna (1729-58). Les Lettres familières du président de Brosses (édit. Colomb) ont été aussi utilisées.