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Pour Albani, cette déclaration était accablante : il en supporta néanmoins la lecture avec « un visage de marbre. » Et, sitôt qu’elle fut achevée, sans tenter de se disculper ni de s’excuser, il invita simplement les cardinaux à procéder au vote. Aldovrandi réunit trente et un suffrages. Qu’il gagnât trois[1] voix de plus et il était Pape !

Corsini et les cardinaux de couronne résolurent de « remuer toutes choses pour achever la victoire. » Mais, à cet instant, critique, le camerlingue, « se raidissant contre la destinée, » leur opposa une résistance désespérée. Pendant plus d’un mois, les scrutins se succédèrent, invariablement stériles. Aldovrandi obtint trente et un, trente-deux et même, un jour, trente-trois suffrages, sans pouvoir arracher au camerlingue la dernière voix qu’il lui fallait. Serrés autour d’Albani, dix-sept cardinaux demeurèrent irréductibles, vieille phalange que rien ne pouvait entamer. Cependant leur chef s’ingéniait pour jeter la discorde dans le camp adverse ; ainsi Acquaviva apprit que le peuple de Rome, pour indiquer ses préférences, avait dans les carrefours allumé des lanternes vénitiennes sur lesquelles s’étalaient les armes de Ruffo, surmontées de la tiare et il vint aux oreilles des cardinaux les plus craintifs que la plèbe du Transtévère avait manifesté contre Aldovrandi ! Le camerlingue en fut d’ailleurs pour ses frais, et ces démonstrations, qu’il avait provoquées à prix d’or, restèrent sans effet.

La moitié d’août s’écoula, « le conclave demeurant dans cette impasse. » Un instant, Aldovrandi, mû par un sentiment de pieuse générosité, avait voulu poser les armes. Le 30 juillet, dans une lettre adressée au neveu de Clément XII, il supplia « qu’on abandonnât sa candidature, puisqu’elle obstruait le scrutin, » disant, à l’exemple du prophète Jonas : « Si c’est à mon occasion que cette tempête s’est levée, prenez-moi et me jetez à la mer. » Corsini et ses alliés avaient rejeté cette offre magnanime. Mais, à mesure que les jours se succédaient dans la chaleur croissante de l’été, le « sacrifice » d’Aldovrandi apparut peu à peu aux cardinaux de couronne comme l’unique moyen de résoudre le conflit, et la plupart d’entre eux inclinèrent. doucement vers cette concession qu’ils avaient repoussée deux semaines auparavant. L’initiative du cardinal Cibo, l’un des

  1. Les morts et les absences réduisaient le Sacré Collège à 51 membres. La majorité des deux tiers, nécessaire à l’élection, était donc de 34.