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semble avoir forcé le blocus de la mer du Nord ces jours derniers et dont on mentionne, le 10 novembre, la présence à Trondjhem de Norvège, où il ne peut faire séjour, d’ailleurs, sans être désarmé.

Ainsi se révèle le vice de la conception allemande. Si l’on veut que la guerre de croisière soit efficace, il faut qu’elle dure longtemps, assez, du moins, pour produire des effets de dépression sérieux sur l’adversaire. Dès lors, si l’on y emploie des unités isolées, il est nécessaire que, par leur vitesse et leur rayon d’action, ces unités soient en mesure de se dérober à tous ou presque tous les bâtimens ennemis qui pourront être détachés contre elles ; et il ne l’est pas moins que, contraintes à la lutte, elles trouvent dans leur armement défensif et offensif de suffisantes garanties de succès dans un combat singulier. Or, tout cela conduit aux grands déplacemens, aux grands croiseurs cuirassés, pourvus de canons puissans.

Mais une unité isolée finit toujours par trouver sur sa route deux bâtimens doués de la même vitesse et à peu près aussi bien armés qu’elle. Une méthode plus sûre, — il n’y en a évidemment pas d’infaillible, — consiste à mettre à la mer non plus des unités isolées, mais des divisions ou même de petites escadres de grands croiseurs cuirassés, pourvu que ces bâtimens disposent tous de la même vitesse, à très peu près, et que leurs machines soient également sûres.

Mais, heureusement, la marine allemande n’avait pas encore, au commencement d’août, assez de Seydlitz, de Lützow et de Derfflinger[1] pour organiser méthodiquement la guerre de croisière, tout en satisfaisant aux exigences de la guerre d’escadre, à laquelle, on peut en être assuré, elle ne renonce pas du tout. C’est que, si prévoyant que l’on soit, il est bien difficile, surtout en marine, d’être absolument prêt de tous les côtés.

Reconnaissons cependant qu’une petite division de ses croiseurs cuirassés relativement anciens vient de se distinguer dans un combat livré, sur la côte du Chili, à un nombre égal de croiseurs anglais. D’après les rapports parvenus à l’Amirauté au moment où j’écris, il semble que le succès ait été dû à l’habile emploi d’une artillerie parfaitement homogène et, dans l’ensemble, beaucoup plus puissante que celle de la division

  1. Voir, à ce sujet, mon étude du 1er avril 1914 sur le Rôle des croiseurs cuirassés allemands.