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manœuvrait à la prussienne, et peu à peu l’Allemagne se mettait au pas. Sa faiblesse séculaire lui rendait plus séductrice l’idée d’être puissante à son tour, elle se sentait plus fière de cet avenir pour l’avoir plus longtemps attendu, et en toutes choses accepta pour maître le peuple qui l’avait séduite en lui révélant la douceur d’être redoutée. Voulant la fin, elle voulut les moyens. Elle commença à sentir la honte de la douceur, de la bonté, sa nature se durcit. Et tandis que, lecteurs attardés de Faust, nous admirions Marguerite, sous l’influence de Méphistophélès Marguerite étouffait son enfant, la vie de tendresse, de générosité, d’indépendance, qu’elle avait conçue dans les jours d’idéal. Soudain la guerre de 1870 nous révéla cette Allemagne nouvelle, cimentée par la haine, par la cruauté, par l’orgueil, et qui, dans la défaite de nos armes, célébrait la déchéance du génie français.

Répondre à ce délire par de l’impartialité, à la prétention qu’une race soit la maîtresse naturelle de toutes les autres opposer la doctrine que les donc civilisateurs se partagent entre les divers peuples, reconnaître à la culture allemande son étendue et ses limites, aurait été digne de nous et de la vérité. La vérité est que l’Allemagne pousse à la perfection la science de la recherche, partout elle observe, note, classe, amasse avec une régularité incomparable, elle collectionne plus sûrement et plus abondamment que personne les documens, les expériences et les faits. Elle excelle moins à choisir, à peser ce qu’elle entasse, à isoler les vérités tenues en suspension dans les phénomènes : Les rigueurs de ses méthodes la rendent timide aux audaces par lesquelles l’intelligence s’élève des constatations aux lois, son érudition, féconde en travaux, demeure plus stérile de doctrines, son érudition sait peu conclure, c’est-à-dire transformer l’amoncellement en richesse. La France, au contraire, a l’aptitude aux synthèses : ce qu’elle voit le mieux dans les faits, ce sont leurs rapports, leur subordination, leurs conséquences, et de leurs détails elle dégage les vérités générales. Elle possède ce don jusqu’à l’excès et, dans tous les ordres de connaissances, il lui est arrivé de ne pas donner assez de temps aux recherches méthodiques, de bâtir sur des fondations hâtives et insuffisantes des couronnemens en porte-à-faux. Si nous avions sans honte, à l’école de l’Allemagne, appris les lents travaux d’approche dont il faut investir la vérité pour se rendre sûrement maître d’elle,