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allemande est tout particulièrement alarmante. Il me semble que, mieux que toute autre Puissance, l’Angleterre serait en mesure de tenter encore d’agir à Berlin pour engager le gouvernement allemand à l’action nécessaire. C’est à Berlin qu’indubitablement se trouve la clef de la situation[1]. »

Les inquiétudes de M. Sazonofï n’étaient, malheureusement, que trop justifiées. Quelles que fussent les véritables intentions du gouvernement allemand, sa résistance passive aux efforts de la Triple Entente ne pouvait, dans les circonstances, qu’exciter l’audace de l’Autriche-Hongrie. Le 28, en effet, l’Autriche-Hongrie répond par un refus catégorique à la proposition russe, en affirmant que le manque de sincérité de la Serbie était trop évident ; enfin l’Autriche déclare la guerre à la Serbie.

L’événement tant redouté s’était produit. En cinq jours, tandis que les ambassadeurs et les ministres de toute l’Europe causaient entre eux sans pouvoir s’entendre, les événemens s’étaient précipités avec une effrayante rapidité. L’impression fut très vive surtout a Saint-Pétersbourg, où le Conseil des ministres décida d’entamer, le jour suivant, la mobilisation dans les circonscriptions militaires d’Odessa, Kiew, Moscou et Kazan, d’en avertir par voie officielle le cabinet de Berlin, et d’ajouter encore la déclaration que la Russie n’avait aucune intention hostile contre l’Allemagne[2]. Cette décision ne pouvait d’ailleurs surprendre ni l’Allemagne ni l’Autriche, car la Russie avait déclaré, dès le début de la crise, que, si la Serbie était attaquée, elle mobiliserait sur la frontière autrichienne. A Berlin au contraire, par une autre contradiction non moins singulière que les précédentes, la déclaration de guerre semble avoir produit d’abord un effet favorable aux tendances pacifiques. Le 28, l’empereur d’Allemagne, qui avilit été surpris par les événemens en pleine croisière dans les mers du Nord, rentre à Berlin. A-t-il déployé, à peine arrivé, une action personnelle en faveur de la paix ? A-t-on commencé, le 28, à s’apercevoir en Allemagne que la situation était très sérieuse ? L’histoire nous le dira un jour. Ce qui est certain, c’est que tout à coup, le soir du 28, le gouvernement semble abandonner sa politique de résistance passive, qui, le jour précédent, avait si bien servi la politique agressive de l’Autriche, et si mal la cause de la paix.

  1. Livre Orange, doc. n. 43.
  2. Great Br., doc. n. 70 ; Livre Jaune, n. 95 et 96.