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au point d’être la dernière, — assez à fond, du moins, pour que l’ennemi ne la recommence pas de plusieurs siècles.

La plaie la plus grave est soignée d’abord : un trou creusé dans le bras par un éclat d’obus, et large à y mettre le poing. Oh ! quand, après l’enlèvement des ouates et des bandes, il apparaît béant, dans le cercle de ses boursouflures, ce cratère de sang rouge, de sang noir, de matières purulentes ! la figure du patient, tandis que la plaie vive est badigeonnée de teinture d’iode ! Sous la morsure, il se crispe, il appuie sa nuque au bras de la vaillante nurse ; et il se tait.

Il se tait aussi, cet autre qui a reçu dans la jambe une balle et un schrapnel ; tandis qu’on le panse au-dessus du pied, un trou suppure à son mollet, et tout à. l’heure il faudra le panser entre les côtes.

Il fait mieux que se taire, il sourit, ce troisième blessé, aux traits si fins, si délicats, qui n’a pas moins de cinq ou six schrapnels dans les cuisses. Pendant qu’on nettoie ses drains et qu’on change ses compresses, il ne peut retenir quelques soubresauts, mais il parle d’autre chose. Le cher petit, qui a juste vingt ans, fut blessé dans la compagnie que commandait son père, et celui-ci l’a été à son tour. Autour des admirables Castelnau, combien d’autres familles paient d’un héroïsme égal ton salut, ô France !

Quelquefois la douleur est telle, que l’âme la plus forte ne peut imposer silence au corps trop martyrisé. Chez celui-ci, une balle a traversé la malléole entièrement et fait éclater les os de la jambe ; il a fallu extraire le péroné en morceaux. Quand on enlève le pansement du pied monstrueux, quand on lave à l’eau oxygénée le trou central et les crevasses, des gémîssemens, des « oh ! » plaintifs et prolongés échappent au malheureux ; et de voir l’aspect du mal, d’en respirer l’odeur, d’entendre crier cet homme jeune et fort, cela vous fend l’âme. Affreuse guerre ! Affreuse guerre !

J’en parlais le soir avec un docteur et lui disais que je n’avais rien vu de pire. « C’est que vous n’êtes pas allé, m’a-t-il répondu, sur les champs de bataille. Vous n’avez pas vu ces morts, ces mourans, ces blessés, qui réclament à boire ! » La soif des blessés durant de longues heures et parfois des jours… Autrefois, pour les secourir, pour les emporter, il y avait des heures d’armistice ; il y en a encore entre Autrichiens et Russes. Avec les Allemands, ce n’est plus possible ; ils en proliféraient