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a été de gouverner en Turc, pour les Turcs seulement, au détriment des autres populations ottomanes de l’empire. M. Victor Bérard a exposé, dans les derniers chapitres de La Mort de Stamboul[1], l’une des formes qu’a prise cette politique panislamique : la concentration, par voie d’immigration, de l’élément musulman dans les régions où il ne possédait pas la prépondérance. Les amputations de la guerre balkanique n’ont fait qu’exaspérer cet esprit et fortifier cette partie du programme. Mais l’obstacle qu’opposent au développement de la race turque les populations implantées depuis des siècles sur les côtes de l’Anatolie, où elles ont concentré entre leurs mains le commerce, l’industrie, l’agriculture, les affaires, ne pouvait être surmonté simplement par la superposition à la vie locale d’élémens venus du dehors. De même qu’en 1895 et en 1909, la Turquie a cherché à résoudre la question arménienne en supprimant les Arméniens, le problème de la concentration et de l’hégémonie de la race turque sur les côtes d’Asie-Mineure n’a paru pouvoir être résolu que par l’extirpation des Grecs.

À ces points de vue politique et économique s’ajoutent des considérations stratégiques et militaires. Les îles qui font face à la côte sont occupées depuis quelques mois par la Grèce. Quoique la population grecque des côtes d’Anatolie n’ait, à aucun moment, témoigné d’hostilité au gouvernement ottoman, il n’en est pas moins certain qu’elle est animée d’un sentiment philhellénique très fort ; la puissance qu’elle possède dans cette région inquiète la Turquie, en cas de conflit entre elle et la Grèce.

D’autre part, il a fallu loger ces milliers d’émigrés, qu’on a fait venir de Macédoine et ceux qui ont quitté les Balkans au cours de la guerre, ou en vertu du droit d’option inscrit dans le traité d’Athènes. La prise de possession des territoires appartenant aux Grecs d’Asie-Mineure a été une solution simple du problème des habitations à bon marché.

Enfin, il n’est pas douteux que les finances de la Turquie viennent de traverser une crise ; les fonctionnaires sont moins payés que jamais. Le désir de s’enrichir sans effort n’est pas non plus étranger au mouvement. La mainmise sur les immenses propriétés et les biens de cette région prospère était une

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