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place dus fauteuils des abonnés, ou rangeait en amphithéâtre des banquettes de bois recouvertes de velours rouge. Les loges et baignoires du pourtour étaient également réservées aux représentans, et je me rappelle que dans l’une d’elles figurait au premier rang. M. Léonce de Lavergne, remarquable par une immense visière verte abritant ses yeux fatigués. Nous avons actuellement au Sénat un honorable médecin sénateur qui apaise l’éclat du lustre électrique par un simple feuilleton ou un amendement placé sur son front, dédaignant ainsi la visière qui le désignerait beaucoup trop à l’attention curieuse des spectateurs.

Derrière le fauteuil du Président, on disposait deux petits bureaux pour le Secrétaire général et pour son gendre, chef de bureau de la Présidence, l’aimable et regretté Jules Poudra. Au pied de la tribune, on plaçait le banc des secrétaires-rédacteurs et à droite et à gauche les stalles étroites des sténographes. Les galeries des premier et second étages étaient réservées au public, ainsi que le Paradis. La presse était confinée dans la loge centrale du premier étage. Un des questeurs de l’Assemblée, le fameux M. Baze, s’était réservé le monopole des billets. Il en disposait avec assez de fantaisie et s’attirait, sans paraître trop s’en soucier, les malédictions des journalistes et du public. Les brocards pleuvaient sur lui dans les journaux comme dans les couloirs. Il les endurait assez patiemment, satisfait du droit régalien qu’il s’était arrogé et content de faire enrager les solliciteurs. Sa popularité parlementaire datait du Deux-Décembre. Déjà questeur a la Législative, il avait fait une proposition, qui ne fut malheureusement pas votée, prévoyant la répression d’un attentat à la majesté et aux droits de l’Assemblée, et il s’était signalé par une opposition très courageuse au coup d’État. Réveillé dans la nuit, il s’était dressé sur son séant dans un appareil sommaire, la tête coiffée d’un madras rouge à cornes. Ce petit Méridional rageur avait commencé un discours éloquent qui impressionnait les soldats, lorsque le colonel Espinasse, qui s’inquiétait de ce flux de paroles terribles, eut l’idée plaisante de crier tout à coup : « Enlevez Apollon ! » Ces deux mots si drôles firent rire les soldats qui cueillirent dans leurs bras robustes le questeur farouche et l’emmenèrent à Mazas. M. Baze y demeura quelques jours et eut ensuite l’honneur d’être mis sur les listes de proscription. Il partit pour Bruxelles et y demeura passionnément opposé au second Empire, si bien qu’après la