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villages, de ferme à ferme, de maison à maison. Pendant plusieurs jours, me dit-on, les cadavres français restèrent d’un côté de la route, les allemands de l’autre : il n’y avait personne pour les ensevelir. Vassimont, Haussimont souffrirent également beaucoup, et aussi Sommesous, dont la petite église romane est entièrement brûlée.

Plus affreux encore et surtout plus étrange est l’aspect qu’offrent les hameaux de Glannes et de Huiron qui furent incendiés. Tous les toits, tous les murs se sont écroulés ; seules restent debout les cheminées de briques, parce qu’elles forment un bloc de maçonnerie indépendant de la construction. La route s’allonge entre la double rangée de leurs colonnes. Modernes Pompéïs où s’affirme la supériorité de la culture allemande…

J’interroge une vieille femme, le seul être vivant de ces nécropoles ; c’est une Lorraine qui vint s’établir ici en 1870. Elle n’a pas quitté le village pendant le passage des ennemis. D’une grange un peu à l’écart de la route, elle a assisté à l’incendie qui fut allumé dans chaque maison. Le travail fini, les soldats sont partis au cri de : Gott mit uns

— Est-ce possible, monsieur, que Dieu soit avec eux ? Alors, je ne comprends plus…

— Ne cherchez pas à comprendre, pauvre brave femme, personne ne peut comprendre ; et continuez à croire…

Vitry-le-François, précédé de peupliers et de frênes, où des nuées de corbeaux mettent des taches noires dans l’or des feuilles, semble une oasis au milieu de ce désert ravagé par je ne sais quel infernal siroco. La situation de la ville est charmante à la jonction de la Marne et de trois importans canaux. C’est un ingénieur italien qui, à la demande de François Ier, en traça le périmètre régulier et les rues se coupant à angle droit autour de la jolie place centrale. Elle s’éleva non loin de l’ancien Vitry, détruit par Charles-Quint, qui garda longtemps le nom de Vitry-le-Brûlé. Eternels recommencemens de l’histoire et de la barbarie germanique ! Les guerriers d’outre-Rhin ont toujours vengé leurs défaites en mettant le feu aux cités qui n’en pouvaient mais. A côté de l’ancien Vitry-le-Brûlé et d’un village qui s’appelle encore Reims-la-Brûlée, voici les nouvelles victimes : Favresse, Maurupt, Pargny-sur-Saulx, Heiltz, d’autres encore, et voici enfin Sermaize, la riante Sermaize-les-Bains,