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sensation. Quand on ne peut pas voir de grands personnages, on se contente de menus. Je remarquai un jour une agglomération de badauds sur un point de la rue et l’on me dit : « On veut voir la femme d’un ministre qui achète du chocolat chez un confiseur. » Les Bordelais paraissaient sensibles à cet hommage rendu à une spécialité friande dont je ne nommerai pas le créateur. On se porte aussi sur la place Pey-Berland où se trouve la mairie centrale, ornée de drapeaux français et des étendards des alliés, puis les regards des spectateurs se fixent avec intérêt sur les tours de Saint-André où l’on veut découvrir des mitrailleuses destinées à abattre les Taubes qui viendraient jusqu’à Bordeaux, alors qu’on se borne simplement à y installer la télégraphie sans fil.

Le public mondain fréquente plus volontiers, comme je l’ai dit, le cours du XXX-Juillet, les Quinconces, le Jardin public et surtout les Allées Tourny. Cette magnifique promenade est couverte de chaises comme celle des Champs-Elysées, et les Parisiens et les étrangers s’y donnent rendez-vous à la fin de l’après-midi, ou le soir. Le beau temps, qui dure depuis un mois, favorise ces réunions. Mais l’affluence se porte toujours au grand Café de Bordeaux, car c’est là que les amateurs de nouvelles vraies ou fausses, les oisifs de tout acabit, les spéculateurs et chercheurs d’affaires, les grandes mondaines égarées à Bordeaux viennent s’installer. J’ai dit que certains restaurans à la mode sont archi-pleins, et je puis ajouter qu’ils ont reçu, plus d’une fois, une clientèle importante, qui eût dû, remarque-t-on, songer un peu plus aux affaires graves du moment présent qu’à ses plaisirs personnels. Les kiosques autour du Grand-Théâtre sont assaillis par la foule qui vient y chercher force journaux, des cartes de la guerre et des brochures à sensation.

Beaucoup de journaux avaient suivi Je gouvernement à Bordeaux. Mais le Temps, le Figaro, l’Illustration et plusieurs autres sont déjà rentrés à Paris. Quant au gouvernement lui-même dont le transport provisoire à Bordeaux était certainement nécessaire, son retour plus ou moins prochain à Paris est l’objet de nombreuses conversations, et je sais qu’il l’a été aussi de discussions plus sérieuses en haut lieu. Divers courans se sont manifestés, et la prudence a fini par l’emporter sur l’impatience. On est fondé à croire que le gouvernement restera à Bordeaux tant que l’ennemi n’aura pas quitté le territoire