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Voilà des considérations rassurantes, certes, et qui, pourtant, ne rassurent pas nos ennemis. On dira peut-être qu’ils savent bien que le tableau changerait d’aspect si, d’aventure, le Danemark se déclarait et, donc, que la plus simple prudence leur commande de prendre quelques précautions contre un neutre qui aurait de si bonnes raisons de devenir un belligérant. Restons à la lisière de cette délicate question. Il y a d’autres motifs aux inquiétudes allemandes, celui-ci, entre autres, qu’il se pourrait bien que l’allure générale de la guerre donnât, un jour prochain, aux puissances alliées le désir de rechercher des théâtres d’opérations plus rapprochés du centre politique et militaire de l’Empire ; et celui-là, encore, que la prise de possession du canal maritime, ou seulement une menace contre le canal assez sérieuse pour obliger la « flotte de haute mer » à quitter cet asile avant l’heure qu’on lui voulait fixer, auraient un intérêt des plus sérieux pour la marine anglaise.


Ce n’est pas, au demeurant, que les subtils et avisés doctrinaires de la stratégie transcendante n’aient fait, depuis un quart de siècle, de l’autre côté des Vosges, les plus consciencieux efforts pour persuader les Français d’abord, les Anglais ensuite, de la vanité des opérations combinées, du danger extrême que faisait même courir à l’assaillant la témérité de débarquer sur le littoral d’un pays bien armé : « Comment transporter par mer une force suffisante pour entreprendre quoi que ce fût devant les immenses armées modernes ! On serait infailliblement jeté à la mer, ou, si l’on évitait par grand hasard ce sort fâcheux, on serait « fixé » sur le point de la descente, dans l’impossibilité de déboucher, » etc.

Les soins persévérans des écrivains allemands furent récompensés. Dans cette trop longue période de notre histoire contemporaine où le prestige de la victoire, une victoire que l’ennemi n’avait due qu’à l’énormité de nos fautes, éblouissait les esprits, et les inclinait à accepter toutes les doctrines militaires du vainqueur, un bien petit nombre d’officiers seulement s’aperçut que la thèse allemande n’était justifiée que par l’intérêt immédiat, évident, d’un empire dont la marine était encore très faible, et dont la capitale reste à quelques marches d’un littoral très peu défendu.

On enseigna donc chez nous, — peut-être aussi chez les