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REVUE MUSICALE

BEETHOVEN, D’APRÈS LES TÉMOINS DE SA VIE


Die Erinnerungen an Beethoven, gesammelt von Friedrich Kerst. — 2 vol. Julius Hoffmann, Stuttgart, 1913.


Il est heureusement de ceux que nous pouvons aujourd’hui ne pas réprouver ni proscrire. S’il ne nous aima point, son excuse, ou sa raison, était dans nos victoires. Mais il ne nous a pas outragés. On rapporte même qu’en 1805, lors de la première entrée des Français à Vienne, quelques-uns de nos officiers, musiciens, étant allés présenter leurs hommages au compositeur de la Symphonie Héroïque, Beethoven leur fit bon accueil. Et même il exécuta, non seulement en la présence, mais avec le concours de ses visiteurs, des fragmens de l’Iphigénie en Tauride, de Gluck. Il ne tarda guère à changer de sentiment, ou d’humeur. Un soir qu’il se trouvait être, avec des officiers français encore, l’hôte de son ami, le prince Lichnowsky, au château de Gratz, près de Troppau, le prince pria, supplia Beethoven de se mettre au piano. Ce fut en vain. Plutôt que de jouer « devant les ennemis de sa patrie, » Beethoven prit la fuite. Seul, à pied, par une nuit d’hiver, il quitta le château, et de longtemps il ne pardonna point à son ami des instances qui l’avaient offensé. Au dire de Reicha (1809), depuis la proclamation de l’Empire en France, Beethoven aurait marqué pour l’Empereur et pour les Français un tel mépris, que Rode, le premier violoniste d’Europe, étant de passage à Vienne, ne put trouver accès auprès de lui. On lui prête, sur ou contre Napoléon, cette fière parole : « Si je savais la guerre comme je sais la musique, je le battrais. » Enfin un facteur de harpes anglais, nommé Stumpff, qui rendit visite