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heure si belle. » Puis il bénit les fiancés, les suivit d’un long regard triste et, tournant la tête, il se tut.


Dans les murs, hors des murs, tout parle de sa gloire.


C’est à la campagne surtout, pendant les promenades et les séjours que le musicien de la Symphonie Pastorale aimait de faire aux environs de Vienne, qu’il était beau de voir Beethoven et de l’écouter. La nature, qu’il chérissait avec passion, l’élevait encore au-dessus de lui-même ; seule, elle avait le don de le manifester tout entier. Un jour même elle l’égara, plaisamment. C’était un beau jour d’été, que Beethoven avait choisi pour aller s’installer à Mödling, une de ses résidences favorites. Dès l’aube, il fit charger sur un camion quelques meubles et des montagnes de manuscrits. On partit, Beethoven suivant à pied. Mais il ne suivit pas longtemps. A peine hors de la ville, gagné par la beauté de la saison, par la douceur de l’air et le chant des oiseaux, — qu’il entendait encore, — les idées musicales s’éveillèrent en lui. Alors il ne suivit plus qu’elles. Oublieux de tout le reste, et du véhicule, et du chemin, il erra toute la journée dans la campagne. Il n’arriva que le soir, blanc de poussière, mourant de fatigue et de faim. En outre, ignorant le nom et l’adresse de son étrange client, le voiturier avait abandonné la voiture, dételée, sur la place. Beethoven finit par l’y retrouver. Il éclata de rire et la nuit, au clair de lune, avec l’aide des gamins du village, il dut porter chez lui, pêle-mêle, ses bagages et ses chefs-d’œuvre.

Hélas ! d’autres promenades lui furent plus cruelles. Ferdinand Ries, un des meilleurs élèves de Beethoven, a raconté certaine excursion qu’il fit avec son maître aux environs de Baden. « Aujourd’hui, lui avait dit Beethoven, nous ne prendrons pas notre leçon. Mieux : vaut sortir : le matin est si beau ! » Ils sortirent donc et gagnèrent les bois. Pendant une heure et plus, Beethoven garda le silence, un silence que son jeune compagnon, sachant qu’elle en était la cause, et le prix, se garda bien de rompre. Comme ils s’étaient assis sur l’herbe, les sons d’un chalumeau se firent entendre. La pureté de l’air, la solitude et le silence les rendaient encore plus harmonieux. « Je ne pus m’empêcher de les signaler à Beethoven ; Il écouta, mais, à l’expression de son visage, il me parut que c’était en vain. Pour la première fois, j’eus la certitude qu’il était sourd. Les sons devenaient si clairs, si forts, que je n’en perdais pas un seul, et lui, Beethoven, ne les entendait pas I Ils nous suivirent longtemps. Pour moi, le plaisir qu’ils m’avaient causé d’abord se changeait en affreux supplice. Je