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stupeur tous les ministres accueillir la proposition autrichienne avec enthousiasme. Il réussit à détourner l’orage en déclarant nettement que ce serait folie de s’engager dans une pareille aventure, car « le pays deviendrait fatalement la proie des Russes. » D’ailleurs, ajoutait-il, « mes renseignemens personnels-me permettent d’affirmer que les défaites de la France se précipiteront de telle façon qu’elles devanceraient, en tout état de cause, les armemens de la Roumanie. »

Le prince n’était que trop bien informé ; mais, tandis qu’impressionnée par nos défaites et habilement travaillée par Bismarck., l’opinion européenne se tournait presque tout entière contre nous, les Roumains, dont beaucoup, parmi lesquels un Stirbey et un Bibesco, combattaient dans les rangs de notre armée, restaient fidèles à notre cause et en donnaient chaque jour de nouveaux témoignages. Le bruit ayant couru, à la date fatale du 2 septembre, que nous venions de gagner une grande bataille et de repousser l’invasion, les habitans de Bucarest s’empressèrent d’organiser des réjouissances, qui furent hâtivement décommandées à la nouvelle du désastre de Sedan. La population fut plongée dans la tristesse : le prince, au contraire, tout en plaignant le soit du malheureux souverain qui avait favorisé son accession au trône, ne pouvait dissimuler sa joie, et, comme il venait d’avoir une fille (morte depuis), il écrivait au « roi héros » Guillaume : « Je considère comme de bon augure que mon premier enfant ait vu le jour au moment où le drapeau des Hohenzollern se déploie sur une Allemagne unie… Je m’efforcerai de donner à cette enfant, née à l’époque la plus glorieuse pour l’Allemagne, une éducation qui la rende digne de la lignée des Hohenzollern. »

Les manifestations se multipliaient contre « le prince prussien. » Les révolutionnaires tachèrent d’en profiter pour faire proclamer la république ; une émeute éclata à Ploïesti où les insurgés, après s’être emparés de la caserne, déclarèrent le souverain déchu. Pour comble de disgrâce, deux Prussiens à qui Carol avait confié la construction des chemins de fer ayant commis de graves incorrections dans la gestion des fonds, les mécontens ne manquèrent pas d’insinuer que les concessionnaires étaient de connivence avec le prince, qui s’enrichissait aux dépens de ses sujets. Attaqué sans mesure par une opposition féroce, qui lui imposait de continuels changemens de