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impérieusement, — le libre passage pour les troupes moscovites destinées à envahir la Turquie. Les ministres Bratiano et Kogolniceano étant allés le 6 juin saluer le Tsar qui venait de s’installer à Ploïesti, rapportèrent de leur visite l’impression qu’Alexandre II entendait se comporter dans leur pays en maître plutôt qu’en ami. D’un mot, Carol calma leurs alarmes : « Un prince d’une antique maison comme lui, un Hohenzollern ne pouvait être purement et simplement jeté de côté, même par un Empereur de Russie. » L’événement lui donna raison : quelques semaines plus tard, les Russes ayant subi de graves échecs en Bulgarie, le grand-duc Nicolas dut faire, au nom du Tsar, appel aux forces roumaines et, finalement, confier au prince Carol lui-même le commandement suprême des troupes réunies devant Plevna (28 août). La place tomba seulement le 10 décembre après une résistance dirigée par Osman Pacha ; sa chute, déterminée par l’intervention roumaine, ouvrait aux Russes la route de Constantinople.

Carol connut les joies du triomphe en entrant dans sa capitale, mais ces joies furent suivies de cruelles déceptions. La Russie, empêchée par les Puissances de réaliser les clauses du traité de San Stefano, se dédommagea aux dépens de son alliée, à qui elle réclama la fertile Bessarabie, en lui offrant en échange les marécages de la Dobrudja ! Le prince, après avoir longtemps protesté, menacé même de résister les armes à la main, dut s’incliner devant la nécessité. Vainement comptait-il sur le Congrès de Berlin pour obliger le gouvernement russe à se départir de ses exigences : il ne se trouva personne pour prendre en main la défense des intérêts roumains. Bien plus, la France, l’Angleterre, l’Allemagne elle-même, représentée au Congrès par Bismarck, créèrent de nouvelles difficultés au jeune État en mettant comme condition à la reconnaissance de son indépendance qu’il accordât aux Juifs les droits de citoyen. Or, le prince ne pouvait satisfaire à cette exigence sans soulever d’ardentes colères et même une révolution dans le pays. En fin de compte, les trois Puissances se contentèrent de la naturalisation immédiate de 900 juifs et d’une modification à l’article 7 de la Constitution qui déclarait « que les étrangers de rite chrétien pouvaient seuls obtenir la naturalisation. » En 1880, l’indépendance roumaine était reconnue par l’Europe ; l’année suivante, la principauté était érigée en royaume aux acclamations de tous les partis