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sont servis, afin de se les graver dans la mémoire et d’augmenter ses connaissances. Ce trait si fréquent du caractère des Japonais, qui nous explique en partie leur adaptation rapide à certaines formes de la vie et de la pensée européennes, ne se retrouve pas dans le caractère chinois âpre et fermé. La Chine résiste ; mais sa résistance n’est peut-être que celle d’un troupeau compact qui obéit de loin à ses conducteurs.

C’est avec ceux-là que les Européens ont à faire : étudians, médecins, ingénieurs, négocians, compradors des banques, toute cette Chine jeune ou rajeunie, dont l’allure, dans la ville moderne, est si délibérée et même si hautaine. C’est leur intérêt et leur intelligence que se disputent les nations étrangères. Que pensaient-ils de la guerre ? Il n’est pas très facile de préciser leur opinion. La question de savoir quel est le peuple étranger qu’ils aiment le moins me paraît aussi insoluble que les plus hautes questions de la métaphysique. Assurément, dès que le Japon se montre d’un côté, leur premier mouvement est de courir de l’autre. Selon le proverbe japonais que l’étranger commence au frère, le premier rang dans leur antipathie reviendrait sans doute à leurs frères du Japon. Cependant il ne faudrait pas trop s’y fier. Leur crainte des Japonais se double intérieurement d’une admiration pour la race jaune, qu’ils considèrent comme très supérieure à la race blanche, et où ils s’assignent à eux-mêmes une supériorité particulière qui leur permet, tout en redoutant le Japon, de mépriser davantage l’Europe. Il vaut mieux se demander quel est le peuple européen dont le nom les impressionne le plus. Et de tout ce que j’ai entendu, il ressort qu’en août 1914 c’était l’Allemagne. L’Allemagne passait à leurs yeux pour la grande puissance militaire, scientifique, industrielle et commerciale.

Je doute qu’on ait jamais vu une nation sans colonies travailler dans les colonies des autres, ou dans les voies frayées par les autres, avec un pareil ensemble et une solidarité aussi formidable. Elle pouvait s’enorgueillir à bon droit de ce qu’elle avait accompli en Chine depuis quinze ans et particulièrement dans ces dernières années. Marins et soldats, professeurs, industriels, commerçans, commis voyageurs, du plus grand au plus petit, obéissaient à la même consigne : ils se déployaient sur toutes les avenues, partaient en reconnaissance sur tous les sentiers, se rejoignaient, s’appuyaient, refoulaient