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prouver. Les lieux et les dates des faits qu’elle cite sont soigneusement notés. Les noms des victimes et des témoins sont écrits en toutes lettres, chaque fois qu’il ne s’agit point de personnes habitant encore le pays occupé, et auxquelles l’autorité allemande pourrait faire payer par un crime nouveau leurs révélations courageuses. Mais ces rapports sont nécessairement brefs, schématiques, incomplets, un peu secs. Les ayant lus avec un frisson, j’ai obtenu l’autorisation de feuilleter la collection immense des témoignages et des procès-verbaux qu’ils résument. On a bien voulu me communiquer les matériaux des rapports qui doivent encore paraître. Nulle lecture ne peut comme celle-là soulever le cœur, indigner l’esprit. J’ai vu vivre mon pays, depuis le premier jour de l’invasion, d’une vie tragique et pantelante. J’ai entendu ses cris, ses appels, les soupirs d’agonie qui montent encore de partout. J’ai su dans toute leur horreur les détails de son martyre. Le jour où le formidable dossier que j’ai sous les yeux et qui grossit sans cesse sera intégralement publié, il constituera contre l’Allemagne le plus terrible, le plus définitif des réquisitoires. Lorsque, dans les pages qui suivent, j’aurai tâché de dégager, à l’aide de documens inédits et caractéristiques, la synthèse et le mobile de ces atrocités, je n’aurai dévoilé qu’une infime partie des maux dont notre peuple a souffert.


II


Il ne s’était pas attendu à la guerre. Quand elle avait éclaté, il ne s’était pas attendu au traitement qu’il allait subir. L’invasion serait dure, certes, mais elle serait sans excès. On la supporterait le cœur bien haut, mais sans inutile révolte, — double courage de ne point faiblir et pourtant de se taire ! Les autorités belges avaient annoncé à la population que l’armée allemande était l’une des plus disciplinées du monde, qu’il ne fallait point, par quelque geste irréfléchi, enfreindre contre l’ennemi les lois de la guerre : elle se fait entre soldats, les civils ne peuvent activement s’y mêler. Si leur devoir strict est de ne pas guider l’ennemi, de ne pas l’éclairer, de ne l’aider en rien, il est aussi d’accepter sa présence quand il le faut. Ce n’est pas seulement une question de dignité, c’est une question de sauvegarde. Au prix de leur abstention, les habitans paisibles