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l’équilibre. Depuis que l’effort des Allemands s’était porté sur Tsing-tao et sur Shanghaï, c’est-à-dire depuis sept ou huit ans, leur commerce s’était moins développé à Hong-Kong ; et la guerre mettait en évidence tout ce que leur prospérité superficielle devait au crédit. Mais aujourd’hui c’était leur force. Le naufragé restait accroché à son ancien sauveur. Les mesures de prudence du Gouvernement civil étaient si impopulaires que, chez un peuple moins rassis et où l’esprit public eût été moins discipliné, elles eussent entraîné des manifestations bruyantes. Elles ne provoquaient que des plaintes discrètes, dont l’écho assourdi augmentait le malaise où nous nous sentions vivre.

Les télégrammes de la guerre étaient peu rassurans. On parlait bien d’une marche victorieuse de l’armée russe, et les Autrichiens se faisaient intrépidement battre par les Serbes. Mais le Honkong Telegraph annonçait que les Allemands se disposaient à envahir la France du côté d’Audenarde, où il rappelait que Marlborough nous avait vaincus en 1708. Le Consulat français n’avait reçu que la nouvelle de la prise d’un Zeppelin. Les visages m’y parurent affairés et soucieux. Des officiers de marine s’y entretenaient avec cette gravité particulière que donne l’attente d’un malheur. Un brave Français dont la femme était malade, et qui était forcé de regagner Saïgon, vint se plaindre que les Messageries Maritimes eussent tout à coup majoré leurs prix de cinquante pour cent. L’Amazone avait quitté le Japon, puis Shanghaï ; elle arriverait dans deux ou trois jours, et il ne savait que devenir. Le Consul ou l’Agent Consulaire de Belgique racontait que le seul « national » qu’il eût à Canton, petit fonctionnaire des Douanes, était accouru, appelé sous les drapeaux, mais qu’il n’avait pas les moyens de retourner en Belgique. Un instant, l’attention se fixa en souriant sur ce pauvre homme. Quelqu’un dit : « S’il doit assurer la victoire, n’hésitez pas ; payez-lui les premières classes. Sinon, laissez-le tranquille. » — « Je lui accorderai un sursis ! » fit le Consul. Mais il n’en avait pas fini avec cette histoire ; le soir, au moment de s’embarquer pour Canton, son sursis en poche, le Belge fut arrêté par la police de Hong-Kong comme soupçonné de désertion ; et il fallut que le Consul intervînt.

Le 25 août fut atroce. Les trottoirs brûlaient. D’heure en heure, les journaux lançaient des bulletins que de petits métis chinois criaient dans le soleil : Une bataille sanglante se livre !