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la végétation que de charme à la paresse de l’âme. Malacca n’a gardé de la domination portugaise qu’une porte de citadelle et, sur un monticule, des ruines qui furent une chapelle et plus tard une forteresse. Il y a bien une misérable tribu de pêcheurs qui se disent Portugais : mais ce ne sont que les descendans des anciens esclaves. Quelques-uns ont conservé les vieux noms de leurs maîtres, par exemple celui d’Albuquerque, dont ils balaient la terre comme d’un panache accroché à leurs haillons. La population des Eurasiens, sangs mêlés d’Européens et d’Asiatiques, est très nombreuse ici. Mais elle ne constitue qu’une classe indépendante de plus. Les Malais demeurent à l’écart, sous leurs cocotiers, dans leurs cases recouvertes de feuilles sèches et montées sur pilotis. Les Hindous, Cynghalais et Tamouls dorment un peu partout et même le long des routes. Les Chinois sont souvent très riches : ils habitent des enfilades de chambres aux portes sculptées de feuillages d’or et d’où sortent des parfums d’encens. Leurs femmes se promènent en voiture, aussi somptueuses que de gros prêtres bouddhistes les jours de cérémonie. Et ces différens peuples ne se réunissent qu’autour de la petite rivière jaunâtre qui sépare, comme un égout, le quartier européen des quartiers indigènes. C’est là que tout le commerce s’est massé.

Les Anglais administrent ce coin de terre avec une sagesse et une modération qui s’opposent au rêve violent d’hégémonie ébauché par l’hystérie allemande. Ils ne se désintéressent aucunement de la « culture. » J’ai admiré leur École Normale Malaise, où, derrière les bâtimens européens, les élèves sont logés dans six grandes cases modèles. Mais ils acceptent tous les concours étrangers et les favorisent au même titre que ceux de leurs propres compatriotes. Sans parler de nos Missionnaires, qui n’ont ici qu’à se louer de leurs rapports avec les clergymen, nous possédons à Malacca un établissement des Frères de la Doctrine Chrétienne et un délicieux couvent des Dames de Saint-Maur, pension et orphelinat. Le Gouvernement anglais n’exerce aucun contrôle sur ces institutions françaises. Il les aide à se développer et leur alloue de dix à trente dollars par an et par chaque élève. Quelle admirable force d’expansion nous avons ! Et pourquoi faut-il que nous ne l’ayons que dans les œuvres catholiques ? Pourquoi faut-il que, dès qu’il s’agit de commerce et d’industrie, nous soyons si timorés et si insoucians ? Et re-