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L’ÉTERNELLE ALLEMAGNE.

cédé. » Qui nous expliquera ce miracle ? Pourquoi ni de longs siècles de souffrances, ni l’exemple des peuples civilisés, ni les efforts des Germains eux-mêmes et leur désir de se modifier, ni les méthodiques assauts de cette érudition omnipotente, qui croyait renverser tous les obstacles devant elle, pourquoi rien n’a-t-il encore triomphé de ce tempérament germanique ? Serait-ce que, façonné durant des millénaires par certaines conditions d’habitat et de vie, le Germain soit resté comme une cire malléable sous la pression toujours maintenue et l’empreinte toujours pareille d’une nature et d’un entourage qui, jusqu’au second tiers de notre xixe siècle, n’a presque pas changé ?

Parmi ces conditions naturelles, il en est une au moins, — et la plus importante, semble-t-il, — qui n’a jamais échappé à l’œil des géographes, ni même au premier regard des voyageurs. Mme  de Staël, au début du xixe siècle, ouvrait son livre De l’Allemagne par cette phrase : « L’Allemagne est une forêt. » C’est ce qu’Ératosthène et Strabon, César et Tacite disaient déjà de la Germanie d’il y a deux mille ans. Plus puissante que leur effort kultural, il semble que leur terre forestière ait toujours conservé les Germains tels qu’ils étaient au premier jour où les Grecs et les Romains les connurent, tels qu’ils étaient encore cinq et six cents ans plus tard, au temps de Clovis et de Théodoric, lorsque la grande invasion jeta nombre de leurs peuplades sur les terres de la res publica, dans l’unanimité de l’Empire et de la paix romaine. Unanimitas imperii, pax romana : l’unanimité, la paix ! Deux biens que Gaulois avant César, Germains et Slaves avant le dernier siècle, les blancs de la forêt septentrionale n’avaient jamais connus, pas plus que les nègres de la forêt tropicale ne les connaissaient hier encore, car les dissensions et les guerres quotidiennes étaient l’état naturel de ces demi-nomades aussi bien que des vrais nomades de la steppe ou du désert : on dit encore tueries de nègres et querelles d’Allemands.

De César à Clovis, les trouées des voies romaines, la plantation du vignoble sur les pentes et l’assèchement des bas-fonds pour la culture intensive des céréales avaient policé la forêt gauloise : la Gaule était entrée dans la paix unanime de l’Empire romain ; le Gaulois était devenu un citoyen de la res publica. Mais la Germanie : c’est au xixe siècle seulement que les che-