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L’ÉTERNELLE ALLEMAGNE.

politique qui commence la ruine de l’ancien Empire, créé par Charlemagne quatre siècles auparavant (800-1250), et l’anarchie de la Confédération germanique, domptée par Bismarck six siècles après (1230-1870).

De Charlemagne à Bismarck, des Carolingiens aux Hohenzollern, l’éternelle Allemagne n’a vécu que pour tisser, défaire et tisser à nouveau cette toile de Pénélope que, tour à tour, chacun des prétendans à l’Empire la forçait d’achever, mais qu’elle se hâtait de défaire, sitôt le prétendant ruiné ou disparu. Avec les mêmes ambitions, par les mêmes moyens, pour les mêmes résultats, on vit tour à tour les chefs des Francs (800-919), des Saxons (919-1024), des Franconiens (1024-1125), des Souabes (1125-1250), des Autrichiens (1493-1806) et des Prussiens essayer, « dans une forme nouvelle, mais sur l’ancien mode, » de relever l’œuvre caduque, et Bismarck recommencer ce que n’avaient réussi ni Charlemagne, ni Barberousse, ni Charles-Quint, et Guillaume II de Hohenzollern revivre le rêve et la catastrophe qu’avait vécus Frédéric II de Hohenstaufen.

C’est que, du fond de ses forêts et de ses libertés, le Germain eut toujours des heures d’admiration et de convoitise pour le bel édifice, l’ordre souverain, le chaud abri de la res publica romaine. Kennst du das Land… ? L’Italie pour le Germain n’était pas seulement le pays de la vigne et de l’oranger ; c’était encore la terre du droit écrit et de l’État souverain. Car il ne faut pas croire que l’homme des bois ne se complaise jamais qu’en sa rude vie de pluie et de neige, en sa lutte quotidienne contre les élémens, les voisins et les fauves : ce n’est que dans les fables que le loup dédaigne toujours le bonheur du chien. Chefs et peuples, l’éternelle Allemagne fut presque toujours attirée ou poussée vers la vie des « animaux politiques ; » pour les chefs, comme pour la foule, la res publica prospère, tranquille, confortable, égalitaire, autoritaire, majestueuse avait à certaines heures d’invincibles attraits.

Le chef de guerre, harcelé par les exigences de ses fidèles, et le roi, contrarié par la turbulente anarchie de son gau, voyaient dans l’Imperator le modèle du souverain obéi et du général heureux ; les fidèles voyaient dans les offices impériaux le modèle des « bénéfices » stables et abondans ; les peuples voyaient dans le citoyen l’homme assuré du présent et du lendemain. Tous avaient leurs raisons de souhaiter le règne de ce