Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 25.djvu/800

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
796
REVUE DES DEUX MONDES.

lien royal et impérial entre les peuplades semble rompu ; de l’Empire, il ne reste que les titres et les ornemens que, deux siècles durant (1274-1452), se disputent tous les chefs de pays ou de bandes, jusqu’au jour où, fondant à la lisière et en dehors des terres allemandes sa monarchie autrichienne, le Habsbourg obtient avec le titre impérial un droit de présidence sur la « Confédération » germanique.

Mais sous ce nom trompeur de Confédération, c’est vraiment le Grand Interrègne qui continue durant six siècles (1254-1870) entre les Hohenstaufen et les Hohenzollern, entre l’Ancien Empire et le Nouveau. Il existe un empereur et roi d’Allemagne, mais dépouillé de tous les droits, pouvoirs et revenu impériaux : il n’a plus ni budget, ni armée, ni justice, ni police ni diplomatie d’empire ; il n’a même plus de droits ni de pouvoirs régaliens que sur ses propres domaines ; il est considéré par l’Allemagne moins comme un chef que comme un ennemi et les « membres de l’Empire » sont toujours disposés à se coaliser entre eux ou avec les nations du dehors pour ruiner « la tyrannie » du Habsbourg.

Donc, six siècles d’interrègne (1254-1870) : la Germanie redevient ce qu’elle était avant l’établissement du Regnum et de l’Imperium à la romaine et même avant son premier contact avec les civilisés du monde gréco-romain. C’est la forêt désordonnée, un inextricable fourré de droits particularistes et de violences individuelles, d’organisations locales et d’anarchie plénière, d’indépendances et de sujétions, de guerres privées et de contrats, de royaumes et de villes libres, de ligues et de cercles, d’alliances et de fédérations. Ligue souabe, Ligue hanséatique, Sainte Wehme, Corpus evangelicorum, Corpus catholicorum, Confédération du Rhin, etc. Chaque région et chaque génération, chaque peuple et chaque caste, chaque métier et chaque quartier s’organisent, se séparent, se fédèrent, et c’est un collège d’Électeurs qui dispose de la royauté ; l’Empire n’est plus rien pour les Allemands ; mais le titre sonne encore aux oreilles de la chrétienté.

Le Habsbourg délaisse ou trahit le germanisme : durant deux siècles et demi (1273-1519), il n’est occupé que d’acquérir pour sa maison ; durant trois siècles ensuite (1519-1806), il n’a que trop de peine à écarter de ses propres terres l’offensive turque et l’offensive française. L’Empire, qui n’a plus son chef de