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L’ÉTERNELLE ALLEMAGNE.

Chapelle, et Barberousse endormi dans sa grotte des monts. Comme deux de ces grands premiers rôles de notre monde gréco-latin, acteurs, chanteurs, parleurs, musiciens, qui faisaient leurs tournées méditerranéennes aux temps des Empires d’Alexandre et de Rome, qui font leurs tournées mondiales aujourd’hui, deux empereurs d’Allemagne, un Charlemagne et un Guillaume II, peuvent n’avoir rien de commun, sinon l’obligation de toujours figurer devant la foule et de ne subsister qu’en tournées de représentation. Sa noblesse native, sa générosité, sa bravoure, son éducation latine, son respect de la loi chrétienne et la saine rudesse de son entourage donnèrent à Charlemagne de vivre son personnage, d’en avoir, avec l’attitude, les qualités et les vertus. Mais il faut, en toute justice, reconnaître que Guillaume II ne fut ni plus comédien, ni plus agité, ni plus phraseur, ni plus vaniteux, ni plus quêteur d’applaudissemens, ni plus craintif des sifflets que la plupart de ses prédécesseurs à cette rampe de l’Empire, où il fut entouré d’une servilité, d’une hypocrisie et d’une corruption toutes byzantines, — c’est le mot du pamphlet fameux Unser Kaiser und Byzantinismus. Guillaume II vint après Guillaume Ier, comme Frédéric II de Hohenstaufen après Barberousse : n’ayant pas étonné l’Allemagne par des victoires, il dut l’éblouir par des spectacles, des cortèges, des musiques et des discours militaires, la courtiser et la séduire par des flatteries à tous ses faibles, faire montre de tous les talens, lui apparaître tour à tour en chef d’armée et en chef d’orchestre, en amiral et en prédicant, en tragédien, en exégète, en interprète de textes cunéiformes : l’art, la science, la religion, la politique, la guerre, le passé, le présent, l’avenir, Babel und Bibel, rien ne devait échapper au « Surhomme » qui avait à conduire cette « Surallemagne. »

La perpétuelle exhibition de la personne et de la majesté impériales est une nécessité de cet Empire. Dans nos États nationaux, les Lois, les justes Lois apparaissent aux consciences les plus obscures et les plus révoltées comme les régulatrices ou les vengeresses de la vie privée et publique : du jour où Socrate mourant s’inclina devant Elles, plutôt que de leur refuser sa mort, c’est Elles qui règnent sur la Cité, sur les désirs ou les remords des citoyens ; à l’école de Rome, Elles durent seulement formuler leurs préceptes en un texte précis et clair, dont le citoyen pût vérifier et discuter l’application…