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de hauteur qu’il a plantée au lieu précis où Napoléon s’arrêta. Un jour, il y aura dans cet endroit une statue pédestre de quinze ou vingt pieds de proportion, précisément avec l’habillement que Napoléon portait ce jour-là. »

Je ne sais si le monument prédit par Stendhal se dressera jamais dans la prairie de Lafifrey ; pour le moment, il n’y a qu’un petit tertre gazonné sur lequel sont entassés quelques rochers. Et, en 1843, peu de temps après que les cendres de Napoléon eurent été rapportées de Sainte-Hélène, sur une plaque de marbre noir encastrée dans le mur du cimetière, à deux cents mètres environ de la place où elles furent prononcées, on a gravé les paroles fameuses :


SOLDATS,
JE SUIS VOTRE EMPEREUR
NE ME RECONNAISSEZ-VOUS PAS ?
S’IL EN EST UN PARMI VOUS
QUI VEUILLE TUER SON GÉNÉRAL
ME VOILA !
7 MARS 1815.

Avant que Napoléon lançât cet audacieux appel, il s’établit, entre ses officiers et les troupes royales, de nombreux pourparlers sur lesquels les historiens passent trop rapidement. Il y eut, de part et d’autre, de longues hésitations sur la conduite à tenir. Au dire des paysans de Stendhal, les choses restèrent en l’état pendant un temps qu’ils évaluent à trois quarts d’heure environ. Ils assistèrent à toutes les péripéties et y prirent part. Les gens de La Mure, qui avaient suivi Napoléon, et auxquels s’étaient joints ceux des hameaux traversés et de Laffrey, se répandirent entre les deux armées et essayèrent d’entraîner la défection des soldats de Grenoble. Ils leur distribuèrent la proclamation que l’empereur avait rédigée avant de quitter l’île d’Elbe et dont il avait fait imprimer des exemplaires à Digne : « Soldats, venez vous ranger sous les drapeaux de votre chef. Son existence ne se compose que de la vôtre ; ses droits ne sont que ceux du peuple et les vôtres… La victoire marchera au pas de charge. L’aigle, avec les couleurs nationales, volera de clocher en clocher jusqu’aux tours de Notre-Dame. »

L’arrivée du capitaine Randon précipita les événemens. Ce jeune officier de vingt ans, neveu et aide de camp du général