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opérations, le piétinement. Pour contenter Deguir, volontaire de la 65e demi-brigade et qui est en avant-garde à l’armée du Bas-Rhin, qu’on lui promette une grande bataille, l’attaque générale ; les escarmouches quotidiennes l’impatientent. Et Desbruères, volontaire au 1er bataillon du Doubs, ne tient pas volontiers en place ; il réclame de bouger : « cela m’ennuie d’être toujours dans le même endroit. » C’est qu’ils ont tous la ferme assurance de valoir mieux que l’ennemi dans la mêlée, homme contre homme. Grenadier au 60e régiment d’infanterie, ex-Royal-Marine, le vaillant Tiry est à l’hôpital, blessé. Il écrit « à son épouse ; » il lui dit : « J’ai reçu au bras droit une balle, à la première sortie de Mayence, en tombant sur le corps de l’ennemi à deux heures du matin, après avoir égorgé deux sentinelles de la grand’garde. Nous nous sommes battus à l’arme blanche, tué beaucoup. Le feu a commencé à trois heures du matin jusqu’à sept heures, où nous fûmes battus à mitraille et à boulet par l’ennemi. Trop incommodés par ce feu, nous avons pris d’assaut la redoute, tué treize canonniers ; j’ai été blessé… » Une donne pas autrement de ses nouvelles ; mais il conclut : « Nous avons eu l’avantage ! » Puis l’ennemi reçut des renforts ; et il fallut rentrer dans Mayence. Tout de même, et quoique blessé, Tiry sortit encore, avec d’autres, pour aller quérir les blessés sur le champ de bataille, — « car les ennemis les achevaient à coups de fusil… » Maintenant, à l’hôpital de Saint-Jean-d’Angély, le grenadier se rappelle tout cela, ses exploits, ceux des camarades, et la médiocrité des ennemis : « qu’ils apprennent à se battre à l’arme blanche » pour se battre avec nous ! » Le chagrin de nos hardis gaillards, c’est d’avoir à écrire : « Nous sommes toujours dans la même position. » Le temps leur dure ; et ils ne rêvent que d’aller de l’avant. Pour tromper l’ennui des semaines calmes, ils améliorent leur gîte et montrent de l’ingéniosité. Au bivouac de Kastel, en brumaire de l’an III, Brault et ses camarades se construisent une cabane, qui est la plus belle de la division : trente pieds de long sur vingt-quatre de large ; un lit de camp « où il pourrait coucher vingt personnes, » un peu serrées probablement ; une cheminée en briques « avec un escalier pour y descendre. » Il y a, dans les environs, une sapinière : c’est elle qui leur offrit les planches et les tenta de bâtir cet « édifice, » une véritable maison, dit Brault, « où je voudrais passer l’hiver ; elle nous a coûté six jours de travail, entre six que nous sommes à l’habiter. » Il assure que la cantinière leur a proposé deux cents francs de leur chef-d’œuvre, et qu’ils ont refusé de le donner. Avec la même bonne humeur, le même sourire enfantin de héros, nos soldats nous