théorique, faute d’enfermer dans ses épisodes les foules combattantes ? C’est pour cela, j’imagine, qu’il avait résolu d’examiner de plus près le soldat : ces lettres de volontaires le renseignaient bien. Il les a trouvées dans les dépôts d’archives communales et départementales, ou dans les liasses des collectionneurs : il les a tirées de leur sépulture et de leur oubli, ranimées, et il a pu constituer ce témoignage ancien de la valeur française. Nous avions déjà des amis, parmi les héros de cette époque : un Joliclerc, un sergent Fricasse et un Gabriel Noël, dans l’épopée militaire de la Révolution, nous émerveillent, nous enchantent. Mais, à cause de leur célébrité, à cause de leur individualité si originale, ils nous ont un air un peu exceptionnel. Ce sont des protagonistes. Voici, avec les moindres personnages que le colonel Ernest Picard ressuscite, la multitude des héros.
Ces gens, rudes et vulgaires, tout barbouillés d’ignorance, fiers de leur brutalité, sublimes, nous apparaissent comme des rédempteurs. Ils font une belle besogne et ils rachètent le crime de leur temps. Ils ne sont point exempts de toute analogie avec ces énergumènes, compagnons de leur enfance peut-être et leurs parens ou leurs frères, qui ont mal tourné, dans les clubs, dans la politique et dans l’anarchie. Une même frénésie a soulevé les uns et les autres, mais ceux-ci pour l’intrigue et ceux-là pour l’abnégation, ceux-ci pour le scandale et ceux-là pour le salut de la patrie. Or, c’est le hasard qui les a séparés si nettement, qui des uns a fait des politiciens et, des autres, des soldats. Les uns, nous les détestons ; les autres, nous les glorifions. Pareils d’abord, ils sont allés aux deux extrémités d’une alternative et, tous, portant comme un bagage précieux une idéologie, la même, et que les uns ont avilie, et que les autres ont sanctifiée. Sans doute les idées ne valent-elles quasi rien, par elles-mêmes : des cailloux qu’on ramasse au bord des routes ; mais, dans ce cailrou, ciselez à votre choix une image obscène ou l’image d’un dieu. Les principes de la Révolution, que les émeutiers de Paris employaient à l’assassinat, sur nos frontières les soldats les employaient à l’héroïsme.
Ces volontaires sont de fameux républicains. Ils ne manquent pas une occasion de déclarer leurs doctrines, et d’afficher « ce saint amour de l’égalité qui caractérise les âmes libres, » et de vilipender les aristocrates, les prêtres aussi. D’ailleurs, il y a entre eux des différences, des nuances d’incrédulité. Quelques-uns traitent encore Dieu sans malveillance. Et Jean Gagneux, un Tourangeau, a beau n’aimer pas les Chouans, il n’est pas une forte tête ; car il écrit à ses parens : « Je vous écris pour faire réponse à votre lettre qui m’apprend avec