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Alors, ils sont très contens ; et ils sont magnifiques. Ils ennoblissent les pires choses : la vermine, la république de 1793, la carmagnole. Et il n’est pas jusqu’au refrain sinistre de « Ça ira, » ignoble à Paris dans la bouche des massacreurs, qui ne prenne le plus bel accent aux couplets de la lettre que voici. Châtelain, commandant la deuxième escouade des canonniers au parc de Saverne, l’an IIe de la république une et indivisible, écrit aux « citoyens magistrats » d’Avallon, son pays natal : « Le 14 de ce mois (novembre), la générale a battu, et l’on criait : Aux armes ! de toutes parts. Le parc d’artillerie de Saverne, où nous sommes attachés, s’est mis en marche contre l’ennemi. Mais, dès l’instant que ces brigands d’Autrichiens nous ont aperçus, ils se sont sauvés comme des lâches. Nous leur avons envoyé quelques coups de canon qui ont fait mordre la poussière à plus d’une centaine des leurs, et nous, nous n’avons perdu que peu de monde, attendu que l’ennemi tire trop haut. Nous ne sommes qu’à une bleue de l’ennemi. Au moment où je vous écris, l’on vient de retirer un espion, habillé en gendarme ; il a les yeux bandés et on lui fait faire le tour de la ville et, de suite, on va lui casser la tête. Encore un scélérat de moins. Ça ira, ça ira, ça ira !… J’ai entendu dire qu’il y avait de grandes mesures de prises par l’état-major de Saverne et que, sous peu de jours, nous devrions faire un mouvement général avec l’armée de la Moselle. Par-là, l’ennemi se trouvera attaqué sur trois faces. Ça ira !… Comme je finis ces mots, le général vient de nous donner ordre de nous tenir prêts pour quatre heures du matin. Il nous a promis que l’affaire serait très chaude. Tant mieux ; je vous promets que cela ne m’intimide pas plus que quand j’allais chanter la messe à Saint-Lazare. Ça ira, ça ira !… » Et, là-dessus, Châtelain, songeant que les magistrats sont les « protecteurs des veuves et des orphelins, » leur recommande « sa petite femme et son fils. » Et puis, avant de signer : « Je suis, citoyens magistrats, avec le respect dû à des magistrats et votre égal en droit. La générale bat, je vole au combat. Vive la république une et indivisible ! » Et puis, après la signature, deux mots encore : « Je vous prie de donner de mes nouvelles à ma petite et de lui dire que je me porte bien. » Je ne sais pas ce qu’il est advenu de Châtelain, qui avait, dans l’esprit, des billevesées et une certitude.


Ces volontaires, si occupés qu’ils fussent à la défense du territoire, veillaient à conserver de bonnes relations avec les politiciens de chez eux, magistrats du peuple, membres des sociétés jacobines ou fonctionnaires de la révolution. Les gens du département