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crise telle qu’elle est aujourd’hui. Laisser passer cette crise sans que l’Italie améliore ses frontières, réalise ses aspirations, élève son prestige et assure son avenir, serait un suicide. Attendre passivement l’accomplissement du destin serait espérer une aumône des autres nations dans un moment où les plus cruels égoïsmes triomphent. — Tel est le ton de cet article qui se terminait par un pressant appel à l’union de tous les Italiens.

L’appel n’a pas été entendu par tous, ou du moins ne l’a pas été tout de suite. Le Giornale d’Italia est le journal de M. Sonnino ; la Stampa, qui a des attaches étroites avec M. Giolitti, lui a répondu en paraphrasant la lettre de celui-ci à M. Peano, lettre dont nous avons parlé il y a quinze jours et qui, sans désavouer, s’il le faut absolument, le recours à la guerre, exprime l’espoir que la diplomatie obtiendra assez de choses pour qu’on puisse s’en passer. D’où vient à M. Giolitti et à la Stampa cette espérance, le Giornale d’Italia l’a demandé avec insistance sans recevoir de réponse. Le Giornale d’Italia ne veut pas d’une « aumône ; » la Stampa s’en contenterait-elle ? Tous les journaux italiens ont pris parti, ceux-ci dans un sens, ceux-là dans l’autre. Sur ces entrefaites, le Parlement s’est réuni. On s’attendait à une discussion immédiate du sujet qui occupait tous les esprits. La discussion n’a pas encore eu lieu et personne ne semble mettre hâte à l’ouvrir. C’est à peine si, dans un discours prononcé à propos du tremblement de terre qui a désolé l’Italie et dont l’humanité tout entière a gémi, M. Salandra a dit quelques paroles patriotiques et vagues, propres à élever les cœurs, sans que les esprits précis puissent y trouver une indication qui les satisfasse. Il y a en Italie un mouvement d’opinion incontestable, mais le gouvernement se réserve. A une question qu’on a voulu lui poser il a refusé de répondre et s’en est référé aux paroles qu’il a prononcées il y a quelques mois, paroles qui avaient à la vérité résonné comme un coup de clairon, mais qui, suivies d’un grand silence, n’ont produit qu’une impression d’un jour.

Il est possible, on l’a dit beaucoup, que dans les divergences d’idées que les journaux ont reflétées, il faille voir, avec toutes les atténuations qu’on voudra d’ailleurs y mettre, le signe d’un désaccord entre M. Giolitti et M. Salandra. M. Giolitti a fait les élections dernières, il était le lendemain maître de la majorité : alors, fatigué peut-être par un long ministère, il a cédé provisoirement sa place à M. Salandra, qui appartient à un autre parti que lui, et lui a promis de l’appuyer, ce qu’il a fait jusqu’ici loyalement. Mais M. Salandra a réussi mieux qu’on ne s’y attendait ; les circonstances étant devenues graves,