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un homme d’État, qui devrait jouer le premier rôle en Europe parmi ses confrères, des qualités de second ordre. Des vues politiques personnelles ne font certainement pas défaut à M. de Bethmann-Hollweg, quoiqu’elles ne soient pas aisées à découvrir. On pourrait peut-être les définir ainsi : pour le gouvernement intérieur, un conservatisme tempéré de doctrinarisme ou, si l’on préfère, un régime conservateur avec des tendances libérales très modérées ; à l’extérieur, un très large développement de l’influence, de la culture et de la langue allemandes, en concurrence avec les Français et les Anglais, qui savent mieux que les Allemands, — comme il l’a dit dans une lettre d’une inspiration élevée publiée par les journaux de Berlin, — propager au dehors leur civilisation nationale. Mais le chancelier ne possède pas deux dons qui semblent nécessaires dans son emploi : une éloquence naturelle et une volonté décidée.

Il est avant tout l’homme de l’Empereur, ou plutôt son fondé de pouvoirs, le véritable chancelier étant le souverain lui-même, dissimulé dans l’ombre de la Constitution. Caprivi, par son indépendance de caractère, Bülow, par le trop grand souci qu’il a eu de préserver son prestige personnel, avaient déçu Guillaume II. Avec Bethmann-Hollweg, rien de pareil ne paraît à craindre. Il se jetterait au feu, il monterait lui-même sur le bûcher, en holocauste à l’opinion publique, si, dans des circonstances critiques, son sacrifice était nécessaire pour sauvegarder la réputation de son maître, qu’il essaiera toujours de couvrir de sa responsabilité constitutionnelle. On l’appelle à Berlin le philosophe de Hohen-Finow, du nom de sa propriété. Philosophe, si l’on veut, par l’égalité d’âme avec laquelle il supporte les échecs de son administration, et dont il s’armera dans sa retraite, lorsque l’heure de la disgrâce aura sonné ; mais philosophe surtout par son indifférence ou son manque de fermeté en matière morale et politique. Sa complaisance à se plier aux exigences de la volonté impériale lui mériterait encore mieux le surnom de philosophe courtisan. Courtisans, ils le sont tous, d’ailleurs, à Berlin, ceux qui veulent, à tous les degrés de l’échelle, être honorés de la faveur ou de la confiance du souverain.

La position de M. de Bethmann-Hollweg auprès du Reichstag et son influence sur une assemblée aussi divisée ne sont pas