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obstacle solide (le sol, un mur, un arbre, etc.). Cet obus contient une forte charge de poudre qui le fait éclater en un grand nombre de fragmens et ce sont ces fragmens projetés de tous côtés qui font les affreuses blessures d’obus si difficiles à guérir, à cause de leurs formes déchiquetés comme celle de l’éclat perforant qui les a produites. Lors donc qu’un obus explosif allemand arrive sur le sol (je ne parle que de l’obus allemand, car le nôtre se comporte différemment, comme nous verrons), il éclate dans tous les sens, mais une grande partie de ses éclats entre dans la terre et agrandit seulement le trou formé par le poids de l’obus en tombant ; de la sorte, les éclats qui sont projetés en l’air arrivent à ne former qu’une gerbe conique assez étroite. Si on est à quelques mètres de cette gerbe, on a des chances de n’être pas atteint et d’être seulement éclaboussé de terre et peut-être projeté sur le sol par le déplacement d’air. Si on est plus près et dans la zone de la gerbe, il n’y a plus qu’à faire avancer les brancardiers. Mais la gerbe d’éclatement est évidemment étroite à la base et va en s’évasant vers le haut ; on a donc d’autant moins de chance d’être touché par elle qu’on est moins haut au-dessus du sol, et c’est pourquoi, dans ces conjonctures, un grand nombre de soldats se couchent. Il est arrivé ainsi que de grosses marmites boches tombent à moins de 1 mètre de soldats couchés sans les atteindre. Par exemple, si elles tombent exactement sur eux, on n’aura pas la peine de chercher leur médaille d’identité…

Quant à moi, j’ai toujours trouvé que le sifflement avertisseur d’un obus boche qui s’avance est un bruit désagréable, et je préférerais n’être point averti. Rien n’est plus agaçant, surtout lorsqu’on a l’honneur de commander des soldats de France, et que l’exemple qu’on leur doit donner et le souci de ne point surmener son brosseur vous interdisent de vous vautrer dans la boue, rien n’est plus désagréable que ce bruit de tuyau d’orgue qui s’avance vers vous pas très vite. « Tombera-t-il à gauche, à droite, en avant, en arrière… ou juste sur moi ? » C’est une charade acoustique qu’on ne se résout point à ne point pouvoir résoudre.

Il y a pourtant des exceptions à la règle, qui font que généralement on est averti de l’arrivée des obus allemands par le départ du coup : il nous a été donné plusieurs fois d’avoir affaire à des batteries très rapprochées tirant d’un tir tendu et