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capote de « biffin » que leur avait imposée la prévoyance administrative, les hommes fussent morts de froid : beaucoup qui, par insouciance ou dans la précipitation du départ, avaient laissé leurs sacs à Saint-Denis, montaient leurs grelottantes factions en tricot de coton, les pieds nus dans des brodequins éculés ; toutes leurs lettres sont pleines de malédictions contre cette eau impitoyable qui les transissait, diluait l’argile et les bloquait dans une carapace de boue.

C’est d’elle pourtant qu’allait leur venir le salut.


VIII. — L’INONDATION

Un nouvel acteur entrait en scène, un nouvel allié, plus lent, mais singulièrement plus efficace que les meilleures troupes de renfort.

Au mois de novembre dernier, le Moniteur belge publiait un arrêté royal nommant au grade de chevalier de l’Ordre de Léopold, « pour sa coopération courageuse et dévouée aux travaux d’inondation dans la région de l’Yser, M. Kogge (Charles-Louis), garde-wateringue du Nord de Furnes. »

Est-ce, comme on l’a dit, ce M. Kogge qui, le premier, eut l’idée d’appeler l’eau à notre aide ? Ou, comme le veut une version plus romanesque, cette idée fut-elle suggérée aux bureaux de l’état-major par la découverte, singulièrement opportune, du dossier de l’action reconventionnelle qu’intenta en 1795 un fermier flamand à son propriétaire « en dédommagement des pertes que lui avait fait subir l’inondation de ses terres durant la défense de Nieuport ? » Toujours est-il que, dans la soirée du 25 octobre, le grand quartier général belge prévenait l’amiral qu’il venait de « prendre toutes mesures nécessaires pour inonder la rive gauche de l’Yser entre ce fleuve et la chaussée du chemin de fer de Dixmude à Nieuport. »

Les effets de cette inondation ne pouvaient néanmoins se faire sentir dès les premiers jours, ni même dès les suivans. Le mot d’inondation évoque ordinairement à l’esprit l’image d’une torrentielle poussée des eaux, d’une grande charge de cavalerie marine ou fluviale qui balaie tout sur son passage. Rien de pareil ici. Nous sommes en Belgique occidentale, dans un pays invertébré, sans relief d’aucune sorte, où tout procède lentement, flegmatiquement, les cataclysmes compris. Il est