Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 26.djvu/386

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

invisibles, constituera le plus imprenable des fronts de défense, un barrage liquide défiant toutes les attaques. Dixmude, à l’extrémité de cette lagune, dans le cul-de-sac que forment là l’Yser, le canal de Handzaeme et le remblai de la voie ferrée, pourra être comparée justement à Quiberon : ce sera, comme lui, ses ponts coupés, une sorte de mince et basse presqu’île, mais un Quiberon du Nord a l’ancre sur une mer immobile, sans vagues, sans flux ni reflux, piquée de têtes d’arbres, de toits de fermes noyées, et promenant sur ses eaux mortes, au fil d’une insensible dérive, des cadavres ballonnés de soldats et d’animaux, des casques à pointe, des culots de cartouches et des boites de conserves vides…


IX. LA MORT DU COMMANDANT JEANNIOT

Pour le moment, à la date du 25 octobre, l’inondation ne nous prête aucun appui. Et, quand nos troupes auraient tant besoin de se reposer, l’ennemi, sur tout leur front, resserre son étreinte. De nouveaux renforts viennent boucher ses vides ; nos éclaireurs nous signalent des corps de troupes fraîches qui descendent sur Dixmude par les trois routes d’Eessen, de Beerst et de Woumen. Il faut s’attendre à un « grand coup » pour demain, sinon pour cette nuit même. Ce sera pour cette nuit.

Vers sept heures du soir, la compagnie Gamas allait prendre la relève des tranchées du Sud. En route, presque à la sortie de la ville, elle se heurte à une troupe allemande d’égale force qui s’est glissée là on ne sait comme. Fusillade, mêlée générale, où nos marins, à coups de crosse et de baïonnette, s’ouvrent un passage dans la bande, démolissent une cinquantaine d’Allemands et mettent les autres en fuite. Puis une accalmie. Il pleut. C’est le seul bruit qu’on entende jusqu’à deux heures du matin, où brusquement une nouvelle mousqueterie crépite près de la gare de Caeskerke, à l’intérieur même de la défense. Nos hommes ou nos alliés, énervés par cette vie d’alertes continuelles, ont-ils cédé à quelque mouvement irréfléchi ? Au témoignage des plus braves, les hallucinations sont fréquentes la nuit, dans les tranchées ; tous les pièges de l’ombre se dressent devant l’esprit ; la circulation du sang dans les artères fait le bruit d’une troupe en marche ; il suffit