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les Loci communes de Melanchthon, traduits en italien et publiés à Venise en 1525 sous le pseudonyme de Terra Negra, lequel n’était qu’une autre forme du nom véritable de l’auteur, Schwarzerd. Ces déguisemens étaient fréquens. La préface de Luther à l’Épître aux Romains de saint Paul, ainsi que son traité sur la Justification parurent comme étant du cardinal Fregoso ; les œuvres de Zwingle furent imprimées sous le nom de Goricius Cogelius ; le Commentaire sur les Psaumes de Bucer passa pour l’œuvre de Aretius Felinus.

Certains livres publiés en Italie par des Italiens eurent une vogue extraordinaire et contribuèrent pour une grande part au développement du protestantisme ; le petit traité intitulé Le Bénéfice de la mort du Christ, imprimé à Venise en 1540, se vendit à plus de quarante mille exemplaires ; les lecteurs les plus avisés le trouvaient très orthodoxe ; le cardinal Morone le recommandait à ses amis sur le dire de son vicaire et le cardinal Cortese en faisait le matin sa première lecture. Cependant il y était affirmé que la Justification était la condition exclusive du salut. L’Inquisition le condamna ensuite et en fit une si rigoureuse recherche que tous les exemplaires, à l’exception de deux ou trois, en ont disparu. La Tragédie du Libre Arbitre eut aussi une immense influence et un sort analogue ; ce devint un si grand crime de l’avoir lue qu’il y allait des galères et qu’un artisan de Forli fut emmuré sa vie durant pour en avoir donné une représentation chez lui ; en outre, sa maison fut rasée et une stèle commémorative et expiatoire élevée sur son emplacement. Cette tragédie où le « seigneur Franc-Arbitre, » fils de la Raison et de la Volonté, épouse dame Grâce congrue et règne sur le royaume des Bonnes œuvres jusqu’au jour où on lui coupe la tête, était en effet une amère satire contre le Saint-Siège et le clergé ; certain passage sur la Province de moinerie fait penser à l’Ile sonnante de Rabelais. Il en fut de même du Pasquin en extase, de Curione.

Plus encore que par les livres, la diffusion des idées nouvelles se fit par la prédication ; il peut paraître étrange que la réforme du clergé et de la Cour pontificale, la suppression des abus, voire la modification de certains dogmes et l’abolition de certaines pratiques religieuses aient été préconisées en chaire, précisément par des ministres de l’Eglise, sans que d’ailleurs le Saint-Siège intervînt aucunement ; durant vingt-cinq ans,