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Si nous avons lignée, elle en pourra tenir.
Mon père en mon jeune âge eut soin de m’en fournir.
Ma mère, mon aïeul, mes oncles et mes tantes
Ont été de tout temps et galans et galantes.
C’est un droit de famille où chacun à sa part :
Quand un de nous en manque, il passe pour bâtard.


Voilà ce qu’applaudissait le public du XVIIe siècle. Et le public qui allait à la comédie, au XVIIe siècle, était un public restreint. Cela est affligeant, — ou consolant, comme on voudra, — et nous renseigne sur les aberrations auxquelles, en tous les siècles, est sujet le public distingué.

Il faut dire qu’une partie du succès, la plus grande, fut due à l’interprétation ; un moyen de réussir au théâtre est en effet de tailler une pièce sur mesure pour l’acteur en réputation. Combien de pièces ont été écrites pour Coquelin, pour Guitry, pour Réjane, pour Brasseur père et fils ! Combien n’ont guère été que des scénarios destinés à servir de support aux attitudes, aux gestes, aux intonations de l’interprète, parfois aux grimaces, aux tics, aux défauts de prononciation dont ne se lasse pas un public idolâtre. Les acteurs le savent : c’est pourquoi ils traitent parfois les auteurs avec une désinvolture qui n’en reste pas moins répréhensible. Le comédien dont les pitreries faisaient alors pâmer la Cour et la Ville était Julien Lespy, fameux sous le nom de Jodelet. Tel avait été son succès dans Jodelet maître et valet, qu’il avait troqué son nom contre celui du personnage dont il avait si brillamment tenu le rôle. Nous savons très bien quels étaient ses moyens de comique et qu’ils étaient les mêmes qui opèrent toujours. La pâleur de son teint. Un masque blafard fait rire ; ne demandez pas pourquoi : tout ce qui concerne le rire est mystérieux ; mais voyez Pierrot. Sa mine ahurie. L’ahurissement est comique : rappelez-vous l’acteur Jolly dans les Surprises du divorce. Enfin il parlait du nez


Et débitait son fait fort nasillardement.


On ne compte pas les acteurs qui ont dû à une voix qu’ils tiraient des profondeurs de leur nez le meilleur de leur action sur le public. Delaunay, le Delaunay de ma jeunesse, est, je crois, le seul à avoir eu le nasillement amoureux. Jodelet n’avait qu’à paraître : les rires éclataient en tempête. Thomas Corneille eut l’heur de fabriquer pour cet acteur à succès Don Bertrand de Cigarral et le Geôlier de soi-même,